Une mission pour le Canada

Pour mener la course à l’économie « verte », une nouvelle politique d’innovation pour le Canada

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1 February, 2021
Le président John F. Kennedy avec l'un des véhicules d'atterrissage lunaire proposés par les agences nationales de l'aéronautique et de l'espace, ou "Moon Bugs". Le président a déclaré à l'Université Rice que les États-Unis battraient la Russie sur la lune. via Getty Images / Bettman

Innovation climatique : le Canada saisira-t-il l’occasion de bâtir une économie plus compétitive à l’échelle mondiale?

Nous vivons à une époque marquée par de grands défis: une pandémie mondiale, un nouvel ordre géopolitique et une économie façonnée par des problèmes complexes tels que les changements climatiques, la montée des inégalités et le vieillissement de la population. Ces défis nous obligent à penser les politiques publiques différemment, avec une vision plus audacieuse.

Dans un des discours les plus conséquents de sa présidence, prononcé à l’Université Rice en 1961, John F. Kennedy affirmait : « Nous choisissons d’aller sur la lune. Nous choisissons d’aller sur la lune au cours de cette décennie et d’accomplir d’autres choses encore, non pas parce que c’est facile, mais justement parce que c’est difficile, parce que ce but servira à organiser et à mesurer le meilleur de nos énergies et de nos compétences, parce que c’est le défi que nous sommes prêts à relever, celui que nous refusons de remettre à plus tard, celui que nous avons la ferme intention de relever. ». Huit ans plus tard, les Américains posaient un des leurs sur la lune.

« Plus que jamais, la compétitivité économique du Canada dans le monde reposera sur notre capacité d’innover et d’exploiter notre capital intellectuel pour améliorer notre productivité et offrir des solutions aux problèmes auxquels nous faisons face. »

De tous les défis auxquels l’humanité fait présentement face, celui de réduire substantiellement les émissions de gaz à effet de serre est probablement le plus complexe et difficile à résoudre. Une telle transition requiert entre autres des changements structurels et durables en matière de production, de distribution et de consommation énergétiques. Cela ne se fera pas uniquement par le truchement des marchés des capitaux et des investissements privés.

Plus que jamais, la compétitivité économique du Canada dans le monde reposera sur notre capacité d’innover et d’exploiter notre capital intellectuel pour améliorer notre productivité et offrir des solutions aux problèmes auxquels nous faisons face. L’innovation est d’une importance cruciale pour les perspectives économiques d’un pays car elle joue un rôle déterminant dans la croissance de la productivité. En retour, une productivité plus élevée signifie un meilleur niveau de vie. Ce n’est pas un débat académique abstrait: notre prospérité économique collective et la santé de notre planète en dépendent.

Un plan vert axé sur l’innovation

Le gouvernement Trudeau a récemment dévoilé son plan climatique alors que son premier budget en deux ans est attendu dans les prochains mois. Ambitieux, le plan prévoit une augmentation graduelle du prix sur le carbone, qui atteindra 170$ la tonne en 2030. Cette mesure aura un effet important sur la réduction des gaz à effet de serre, mais à elle seule, sera insuffisante. 

Une taxe sur le carbone incitera des changements de consommation et de production, mais encore faut-il que les alternatives économiques soient en place pour faciliter une transition moins douloureuse. On parle souvent des secteurs les plus affectés, comme par exemple celui de l’énergie, où la transition est inévitable. Mais dans les secteurs moins directement touchés, comme l’agroalimentaire ou la construction, si les coûts d’adoption des technologies vertes sont trop grands, le secteur privé sera hésitant à investir et la transition sera plus longue et sinueuse. Une politique industrielle moderne et bien ciblée permettrait d’accélérer la transition écologique.

Les exemples où l’innovation sera requise pour accélérer cette transition sont nombreux : pensons aux véhicules électriques et aux batteries d’automobiles, à l’alimentation et l’agriculture, au transport à faible émission de carbone, y compris le transport aérien et le transport maritime, au ciment et aux matériaux de construction, à la production et à la distribution d’électricité, au stockage d’énergie (batteries de longue durée) et aux procédés industriels pour ne nommer que ceux-là.

Qui sera le champion des technologies vertes?

« L’innovation climatique est – et sera – un gage de compétitivité économique

sur le plan international. »

L’innovation climatique est – et sera – un gage de compétitivité économique sur le plan international. Que ce soit pour la fabrication, la distribution et la consommation d’hydrogène ou la séquestration du carbone, la course aux technologies propres est déjà bien entamée et nos compétiteurs économiques ont déjà une longueur d’avance.

 « Quand je pense aux changements climatiques, je pense à de nouveaux emplois » a affirmé Joe Biden lors de la récente campagne présidentielle américaine. Le plan climatique du candidat maintenant élu prévoyait des investissements totaux de 2000 milliards de dollars, dont 400 milliards dirigés vers la R&D. C’est deux fois plus, en dollars d’aujourd’hui, que le Programme américain Apollo qui a permis d’envoyer un homme sur la lune il y a plus de 50 ans.

Du côté de l’Union européenne, trente pour cent de leur budget au cours des sept prochaines années a été réservé aux investissements visant une transition verte. Cela s’ajoute à une part importante du nouveau fonds de relance verte de 750 milliards d’euros qui vient d’être annoncé.

La Grande-Bretagne, les États-Unis, l’Union européenne ont tous adopté (ou le feront imminemment dans le cas américain) des stratégies industrielles « vertes ». 

Même s’il est ambitieux, le plan d’action climatique canadien basé sur la tarification du carbone se mettra en branle seulement à compter de 2023, et il faudra attendre 2030 avant d’atteindre le prix maximal de 170$ la tonne. 

Des modèles qui ont fait leurs preuves

« Ce dont le Canada a besoin, c’est d’avoir de l’ambition et se doter d’une capacité institutionnelle pour faciliter les partenariats public-privé qui façonnera les marchés et amènera une innovation à grande échelle dans le secteur privé. »

Le gouvernement du Canada a aussi annoncé qu’il investira trois milliards de dollars sur cinq ans à travers le nouveau fonds accélérateur net zéro afin de permettre de rapidement mettre en œuvre des projets de décarbonisation chez les grands émetteurs, d’accroître le déploiement des technologies propres, et d’accélérer la transformation industrielle à travers tous les secteurs. Malheureusement, il ne suffira pas de donner des subventions à des compagnies pour créer une demande suffisante et inciter l’innovation escomptée par le secteur privé.

Ce dont le Canada a besoin, c’est d’avoir de l’ambition et se doter d’une capacité institutionnelle pour faciliter les partenariats public-privé qui façonnera les marchés et amènera une innovation à grande échelle dans le secteur privé.

Aux États-Unis, les organisations axées sur les missions, tels que DARPA au ministère de la Défense, et ARPA-E au ministère de l’Énergie, sont à l’avant-plan pour stimuler l’innovation dans le secteur privé. ARPA-E, mis sur pieds par le Président Obama en 2009, tente de reproduire les réussites de DARPA depuis ses cinquante années d’existence. Parmi elles, on compte le développement d’Internet et du système de géolocalisation mondial GPS. Tandis que DARPA s’attaque à des défis reliés à la défense américaine, ARPA-E finance de la R&D à haut risque et à haut rendement sur l’énergie propre, abordable et fiable. ARPA-E adopte le même état d’esprit organisationnel que DARPA; il ne fixe pas son propre programme de recherche, mais s’inspire des priorités définies par des experts de l’industrie et des universitaires qui travaillent sur des solutions techniques de pointe à haut risque. En réunissant des experts de tous les horizons de la science, de la technologie et des affaires, ARPA-E a supprimé les silos et produit plus de 643 brevets tout en innovant sur les marchés des technologies des énergies renouvelables, des biocarburants et des piles à combustible. Les différents projets de ARPA-E ont mené à la formation de 88 nouvelles entreprises et ont suscité plus de 6,3 milliards de dollars d’investissement privé. Le modèle DARPA/ARPA-E a été éprouvé.

À l’approche du budget fédéral, le plan canadien doit se munir d’une politique industrielle « verte » dans l’immédiat. S’ils sont bien conçus et exécutés, les partenariats public-privés peuvent être des moteurs puissants d’innovation et permettre d’augmenter notre productivité et notre qualité de vie. Les exemples de succès sont nombreux : le legs de Vannevar Bush et Science the Endless Frontier aux États-Unis, le « moonshot » de JFK en 1961, le modèle de collaboration allemand « Fraunhofer », et plus récemment le processus scientifique qui a mené à la conception des vaccins qui nous permettra de vaincre l’une des pires pandémies de l’histoire.

Il est temps de voir dans l’urgence climatique non seulement un problème ou un défi sociétal existentiel, mais aussi une immense opportunité économique qui nous rendra plus compétitif en tant que pays. Au début de la pandémie, on croyait pouvoir espérer un vaccin dans trois ans. Dix mois plus tard, des millions de personnes à risques sont déjà vaccinées. Cela ressemble à l’effort herculéen dont nous aurons besoin pour éviter les pires dégâts de l’urgence climatique tout en projetant notre économie vers l’avant.

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