Un agenda pour la nouvelle ministre des Affaires étrangères du Canada
Mélanie Joly a l’opportunité de redonner à la politique étrangère canadienne la cohérence qui lui manque

Alors que Mélanie Joly entame ses premiers jours en tant que ministre des Affaires étrangères, elle devrait se concentrer sur trois choses : les relations, les politiques prioritaires et les évènements.
Même si tous les ministres (et même tous les politiciens) comprennent rapidement que les relations interpersonnelles sont essentielles pour mener les choses à bien, le rôle de la ministre des Affaires étrangères est différent. En plus de maintenir des liens au sein du firmament politique d’Ottawa et avec un éventail d’intervenants à travers le Canada, elle doit également établir rapidement une relation personnelle avec ses homologues internationaux.
Cela explique en partie pourquoi changer de ministre toutes les années ou deux (Mélanie Joly est la cinquième ministre de Justin Trudeau à occuper ce rôle en six ans, et la douzième en 15 ans) met à mal la diplomatie canadienne. Tous les nouveaux ministres doivent essentiellement recommencer à zéro, non seulement les relations tissées à l’international, mais aussi l’apprentissage des enjeux complexes.
« Tous les nouveaux ministres doivent essentiellement recommencer à zéro, non seulement les relations tissées à l’international, mais aussi l’apprentissage des enjeux complexes. »
Mélanie Joly semble s’en rendre compte. Elle a décidé de rester à Ottawa pour assister à des séances intensives de breffage alors que Justin Trudeau et plusieurs de ses collègues ministres s’envolaient pour l’Europe dans le cadre du G20 et de la COP26. Elle a accordé son premier entretien téléphonique au secrétaire d’État américain Antony Blinken, son homologue international le plus important.
De plus, elle doit rapidement établir ses priorités politiques. Une grande partie de ce travail avait déjà été fait pour elle — par ses prédécesseurs, par le programme de campagne électorale libérale et, surtout, par le premier ministre lui-même. Les thèmes que ce dernier a évoqués lors de son récent voyage en Europe – lutter contre le changement climatique, se remettre de la pandémie de COVID-19 et contrer les menaces à la démocratie – la guideront. Il en sera de même pour la « lettre de mandat » que Trudeau enverra bientôt à Joly et aux autres ministres.
Les réalités géopolitiques font grimper certains enjeux au sommet de sa liste de priorités, telles que les relations avec une Chine de plus en plus agressive et un voisin américain plus protectionniste.
Cependant, la réelle influence qu’aura Mélanie Joly sur ces enjeux reste à voir. Le premier ministre, en tant que chef du gouvernement et représentant du Canada à l’étranger, se partage toujours la tâche avec le ministre des Affaires étrangères, tout comme il le fait avec les autres ministres ayant la responsabilité principale ou conjointe de dossiers internationaux importants tels que le changement climatique, le commerce ou la sécurité.
Reste que le ou la ministre des Affaires étrangères a le mandat unique de coordonner et d’assurer la cohérence de la politique étrangère du Canada dans son ensemble, ce qui a manqué au pays ces derniers temps. Pour réussir, Mélanie Joly devra tirer parti de sa relation avec le premier ministre, et ce dernier doit montrer clairement aux autres ministres et hauts fonctionnaires qu’il lui donne les moyens d’exercer ce rôle essentiel de coordination.
Même si les orientations principales de la politique étrangère canadienne ont été choisies pour elles, Mélanie Joly pourra décider de la manière dont cet agenda sera géré et des enjeux qui seront défendus. Comment, par exemple, décidera-t-elle d’honorer l’engagement vague, mais important pris en campagne électorale de faire de la démocratie et des droits de la personne « une priorité stratégique fondamentale » de la politique étrangère canadienne ? C’est elle qui devra décider.
Elle devra aussi honorer une autre promesse électorale, soit celle de lancer une « nouvelle stratégie Asie-Pacifique globale ». Dans les dernières années, le Canada a progressivement raffermi sa position à l’égard de la Chine, rejetant les offres d’investissement chinois dans des secteurs stratégiques et multipliant les exercices militaires conjoints avec les alliés de la région, dont des passages réguliers de la Marine royale canadienne dans le détroit de Taïwan et dans les mers de Chine orientale et méridionale. Ottawa a aussi travaillé d’arrache-pied pour approfondir ses liens économiques et diplomatiques avec des partenaires clés de la région. En juin, la ministre du Commerce international du Canada Mary Ng a annoncé le début des négociations en vue de la création d’un partenariat économique avec l’Indonésie.
Or, tout cela demeure de petites avancées. Mélanie Joly doit élaborer une stratégie plus claire, plus ferme et mieux coordonnée dans cette région dont l’importance pour l’économie mondiale et la sécurité internationale ne cesse d’augmenter d’année en année. Mais là encore, elle doit être habilitée et soutenue si elle veut y arriver. Cela nécessite l’implication de plusieurs parties du gouvernement fédéral ainsi que le lancement de vastes consultations auprès d’entreprises, de groupes de défense des droits de la personne et d’autres intervenants canadiens, tout en collaborant avec les partenaires internationaux du Canada, notamment les États Unis.
Mélanie Joly doit être prête à s’occuper de crises internationales – des situations de crises, en d’autres mots. Certaines seront anticipées. En Afghanistan, par exemple, l’économie est en ruine et la majorité du système de santé est non fonctionnelle. Aucun État ne pourra se ranger derrière l’ignorance si ce désastre humanitaire prend de l’ampleur. Plutôt, la question sera : Pourquoi est-ce que le Canada et les autres pays n’en ont pas fait plus?
D’autres crises auront l’effet d’une surprise, et Mélanie Joly devra y répondre promptement. François-Philippe Champagne (le troisième ministre des Affaires étrangères de Justin Trudeau, pour ceux et celles qui gardent le compte) a dû gérer de manière inattendue la plus grande évacuation de Canadiens en temps de paix de l’histoire, au début de la pandémie. S’il avait échoué, c’est plutôt Champagne qui aurait été évacué de la politique. Mélanie Joly est totalement capable d’accomplir ces tâches – si on lui donne le temps, l’espace et le soutien qu’elle mérite. Il serait intelligent de ne pas la remplacer aussi vite que ses prédécesseurs.