« Bon nombre d’entre vous craignent que le Canada ait perdu sa voix compatissante et constructive dans le monde au cours des 10 dernières années. Le Canada est de retour » déclarait le Premier Ministre Justin Trudeau au lendemain de sa victoire électorale en octobre 2015.
Ce retour du Canada sur la scène internationale devait notamment passer par un retour aux opérations de paix de l’ONU. Cinq ans plus tard, le bilan est mince : la participation d’Ottawa à la Mission multidimensionnelle des Nations Unies pour la stabilisation du Mali (MINUSMA) a été en deçà des attentes de plusieurs observateurs et, bien que le Canada soit le 9ème pays contributeur au financement des opérations de paix, ceci n’aura pas suffi à Ottawa pour remporter un siège au Conseil de sécurité.
Après cette déception, il serait tentant pour le Canada de se replier. Par contre, alors que le monde se débat avec la pandémie de la COVID-19, et au moment où les fractures de l’ordre international libéral se font ressentir, il est plus important que jamais que le Canada marque finalement son retour dans le maintien de la paix à travers le monde.
La sécurité au cœur de l’ordre international fracturé
La gestion des menaces à la paix et à la sécurité internationale est au cœur des fractures de l’ordre international. Depuis les profonds désaccords sur le dossier lybien au Conseil de sécurité de l’ONU, celui-ci peine à régir l’ordre et la sécurité internationale. Refus de mettre certains dossiers à l’agenda, regain du recours au droit de veto, interprétation restrictive de la souveraineté sont autant de moyens utilisés par les membres permanents. Rien n’aura mieux illustré la paralysie du Conseil que son incapacité de se saisir de la pandémie de COVID-19, comme il l’avait fait pour l’Ebola, qu’il avait déclaré comme une menace à la paix et à la sécurité internationale, permettant ainsi d’enclencher une mobilisation pour lutter contre l’épidémie. Grand absent de 2020, le Conseil aura attendu près de trois mois pour passer la résolution 2532 et endosser l’appel émis en mars par le Secrétaire général Antonio Guterres, dans lequel il demandait un cessez-le-feu mondial afin de concentrer les efforts internationaux sur la lutte contre la pandémie.
Une recrudescence de la conflictualité
Pourtant, les conflits inter- et intra-étatiques sont en hausse depuis ce point d’inflexion qu’est l’année 2011. Non seulement les conflits sont plus fréquents; ils sont aussi plus complexes – pour cause, la présence d’acteurs extrémistes et terroristes, le non-respect du droit international humanitaire, et l’imbrication des conflits avec les dynamiques de criminalité internationale. Quant aux puissances régionales, elles profitent de la paralysie du Conseil de sécurité pour remplir le vide. Elles font régulièrement fi de l’ONU et du droit international dans la poursuite de leurs agendas politico-sécuritaires. Il y a donc plus de guerres, celles-ci durent plus longtemps, débordent du cadre strictement national, font plus de victimes parmi les civils, et sont particulièrement résistantes aux efforts de médiation. On n’a qu’à penser aux multiples tentatives de dénouement du conflit syrien depuis 2011 ou encore aux efforts pour estomper la violence en République centrafricaine depuis 2014. Quant aux guerres interétatiques, qu’on disait reliques du passé, elles semblent également resurgir sur la scène internationale, la dernière en date étant celle du Haut-Karabagh entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan.
Les opérations de paix : un outil efficace mais malmené
« Les recherches s’accordent à dire que les opérations de paix des Nations Unies réduisent le nombre de victimes, tant civiles que militaires, qu’elles contribuent à empêcher les conflits de s’étendre et de resurgir et qu’elles sont relativement plus efficaces et moins coûteuses que les interventions militaires étatiques. »
Alors que l’opinion publique et plusieurs gouvernements les décrient, les recherches s’accordent à dire que les opérations de paix des Nations Unies réduisent le nombre de victimes, tant civiles que militaires, qu’elles contribuent à empêcher les conflits de s’étendre et de resurgir et qu’elles sont relativement plus efficaces et moins coûteuses que les interventions militaires étatiques. Mais les fractures de l’ordre international mettent ces opérations en danger.
Le retour en force d’une interprétation restrictive de la souveraineté, selon laquelle toute intervention étrangère est une ingérence, réduit la marge de manœuvre des missions de paix et met leur impartialité à risque. Les États où elles sont déployées se rebiffent fréquemment contre l’intrusion des opérations de paix dans leurs affaires internes. Au Mali ou en Centrafrique, les gouvernements exigent que l’ONU les aide à rétablir leur présence et leur autorité, demandant parfois un appui militaire; pourtant, ils rechignent dès qu’elle se mêle de la gestion des différends politiques et contraignent sa liberté de parler aux différents acteurs des crises. Les pays-hôtes ruent dans les brancards, désirant se soustraire à cette ‘tutelle internationale’ que représentent les opérations de paix. Ceci se traduit par une fermeture prématurée des missions, fermeture souvent suivie de développements qui soulignent la fragilité des acquis, comme le montrent les cas du Burundi et de la Côte d’Ivoire, ou plus récemment, du Darfour.
Les luttes au Conseil de sécurité reflètent des désaccords profonds sur la finalité des opérations de paix. Comment stabiliser les pays fragiles? Faut-il résoudre les causes profondes des conflits, créer les fondations d’un État de droit inclusif, ou donner aux États les moyens de réprimer la dissension? Certains, comme la Chine et la Russie, critiquent de plus en plus ouvertement l’inclusion de thématiques comme les droits de la personne ou l’égalité des genres dans les mandats des opérations de paix.
Les désaccords au Conseil de sécurité affectent la manière dont ce dernier évalue l’efficacité des opérations de paix. Les membres du Conseil ont adopté des indicateurs de performance et un cadre de rendement technique plutôt que d’évaluer la contribution qualitative des missions à la paix. Ce virage est également lié au débat sur le financement des missions. Le budget approuvé pour l’exercice allant du 1er juillet 2019 au 30 juin 2020 était d’environ 6,5 milliards de dollars. Représentant moins de 1 % du total des dépenses militaires mondiales, ce montant reflète une baisse moyenne de 1,8 % par rapport à 2018-2019. Cette baisse reflète la décision des États-Unis, le plus gros contributeur au budget des opérations de paix, d’amputer de 25% leur part de cet effort. Ceci aura également eu un impact sur le fonctionnement des opérations : dans l’ensemble, leur composante militaire aura été protégée; leur composante civile, pourtant essentielle au rétablissement durable de la paix, aura été plus sérieusement entamée.
L’implication du Canada : Une opportunité et une nécessité
« Aujourd’hui, plus que jamais, la reprise économique mondiale dont dépend notre prospérité exige non seulement la capacité d’enrayer la pandémie chez nous, mais de créer les conditions minimales pour contenir sa résurgence autre part. »
La pandémie de COVID-19 et la crise économique qui s’est ensuivie font planer une menace supplémentaire sur les opérations de paix. Pour les pays qui les financent habituellement, la tentation d’un repli sécuritaire est grande alors que tous, sans exception, connaissent des difficultés économiques liées aux impacts de la pandémie. Pourtant, si l’on en croit les recherches, aujourd’hui plus que jamais il serait avisé d’investir dans cet outil, moins coûteux et plus efficace que d’autres options. La sortie de crise pourrait ainsi offrir une opportunité pour une gestion plus collaborative et efficace des menaces à la sécurité internationale. Ce chantier a commencé avant la pandémie : L’initiative du Secrétaire général de l’ONU, « Action pour le maintien de la paix », vise à recentrer le maintien de la paix sur des mandats plus ciblés, à rendre les opérations plus fortes et plus sûres, à mobiliser un appui en faveur de solutions politiques, et à mieux équiper et former les forces. Avec l’arrivée au pouvoir à Washington d’une administration Biden plus internationaliste, le maintien de la paix a besoin de champions qui assortissent les gestes aux paroles. En se portant champion de cette initiative et en y participant pleinement, y compris par l’envoi de spécialistes et de matériel, le Canada ferait d’une pierre deux coups. Aujourd’hui, plus que jamais, la reprise économique mondiale dont dépend notre prospérité exige non seulement la capacité d’enrayer la pandémie chez nous, mais de créer les conditions minimales pour contenir sa résurgence autre part. Pour les pays fragiles et en conflit, ces conditions minimales passent par la sécurité et par le rétablissement des capacités de l’État. Loin d’être une mission inappropriée pour les forces armées canadiennes, renforcer les Casques bleus est aujourd’hui un outil essentiel dans la sortie de crise et la prévention de la prochaine.