Depuis l’assassinat de George Floyd par un policier de Minneapolis en mai, le groupe américain Press Freedom Tracker rapporte plus de 850 actes d’agression contre des journalistes ayant couvert les manifestations du mouvement Black Lives Matter aux États-Unis.
Les accréditations de presse n’ont jamais été un bouclier efficace contre les abus de la police en colère ou les foules en émeute. De plus en plus, cependant, montrer un badge de presse peut s’apparenter à agiter un drapeau rouge devant un taureau en colère.
« Les gouvernements autoritaires et populistes du monde entier ciblent les médias indépendants. Tenir les gens puissants responsables, tâche cruciale des journalistes, est plus risqué que jamais. »
Les gouvernements autoritaires et populistes du monde entier ciblent les médias indépendants. Tenir les gens puissants responsables, tâche cruciale des journalistes, est plus risqué que jamais. Beaucoup utilisent maintenant la couverture de la pandémie de COVID-19 pour répandre la désinformation et sévir contre les voix indépendantes qui défient leurs régimes, a déclaré l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), dans un rapport publier en mai.
Le Canada est un membre fondateur de la Freedom Online Coalition. Il s’agit d’un groupe de 37 pays qui s’est formé en 2019 lors de la Conférence mondiale sur la liberté des médias qui s’est tenue à Londres et qui s’engage maintenant à « tenir responsables ceux qui portent atteinte aux journalistes ou les empêchent considérablement de faire leur travail. »
La semaine prochaine, le ministre des Affaires étrangères François-Philippe Champagne sera le co-hôte de la deuxième réunion de la Coalition. La session avait été prévue comme un événement de deux jours à Québec, mais sera maintenant tenue en ligne en raison de la pandémie de COVID-19.
Les organisateurs doivent s’assurer que les paroles échangées au sommet se transforment en mesures concrètes pour protéger les journalistes dans le monde entier. Le programme devrait inclure un engagement à imposer des sanctions aux gouvernements et aux dirigeants qui violent systématiquement les droits fondamentaux des travailleurs des médias.
C’est la recommandation du Groupe d’experts sur la liberté de la presse créé lors de la réunion inaugurale de la Coalition et qui était présidé par Lord Neuberger of Abbotsbury, ancien président de la Cour suprême du Royaume-Uni.
Dans un rapport rédigé par l’avocate britannique Amal Clooney, le groupe a observé qu’ « un nombre croissant de gouvernements se sont engagés dans des efforts manifestes, parfois violents, pour discréditer le travail des journalistes et les intimider jusqu’à les réduire au silence. »
Dans un exemple marquant, la journaliste philippine Maria Ressa – critique intrépide du président Rodrigo Duterte – a été condamnée pour « cyberdiffamation », ce qui pourrait lui valoir une peine de prison de six ans. Le verdict a été largement condamné et qualifié de « crime scandaleux contre la liberté de la presse », par le Comité pour la protection des journalistes.
Duterte lui-même a formulé une menace claire à l’encontre des travailleurs « corrompus » des médias : « Ce n’est pas parce que vous êtes journaliste que vous êtes exempté d’assassinat, si vous êtes un fils de pute », a-t-il dit un jour lors d’une conférence de presse.
Maria Ressa a fait appel de sa condamnation de juin. « Je n’ai rien fait de mal, » a-t-elle déclaré lors d’un webinaire organisé par Liberté de la presse Canada et la Commission canadienne pour l’UNESCO en septembre. « Je suis une journaliste, pas une criminelle. Pourtant, c’est ce qu’il faut pour rendre compte aux autorités aujourd’hui. »
Comme Duterte, le président américain Donald Trump et d’autres dirigeants antilibéraux sont enclins à condamner les travailleurs des médias comme des ennemis du peuple, des menaces à la sécurité nationale voire des dénigreurs des religions d’État ou des dirigeants autoritaires. Ce faisant, ils ne ciblent pas seulement les membres de la presse directement, mais créent un climat d’hostilité qui encourage leurs sympathisants à attaquer les journalistes.
En Amérique du Nord, les journalistes noirs, autochtones et appartenant à d’autres minorités visibles subissent le plus souvent ces menaces, surtout lorsqu’ils travaillent pour de petites publications en ligne qui n’ont pas les ressources des grands groupes médiatiques traditionnels. Et surtout lorsqu’il s’agit de femmes journalistes.
Au Canada, des journalistes ont été détenus et même emprisonnés alors qu’ils couvraient des manifestations. Nombreux sont celles et ceux qui sont harcelés et menacés sur les médias sociaux.
Comme l’indique l’UNESCO : « Partout dans le monde, le journalisme est sous le feu des critiques. »
Sur son site Web, l’agence des Nations Unies affirme que la combinaison de la polarisation politique et des changements technologiques a engendré la propagation rapide des discours de haine, de la misogynie, de la désinformation et des attaques – tant physiques que verbales – contre les journalistes.
Clooney, coprésidente du Groupe d’experts juridiques de haut niveau sur la liberté de la presse et représentante de Maria Ressa aux Philippines, a noté dans son rapport que quelque 130 journalistes et autres travailleurs des médias ont été tués en faisant leur travail en 2018 et 2019. Depuis 2002, 1 600 journalistes ont été tués dans l’exercice de leurs fonctions, rapporte le Comité pour la protection des journalistes.
« Les sanctions internationales ciblant les personnes responsables des abus peuvent mettre en évidence leur mauvaise conduite, limiter leur impact et avoir un effet dissuasif sur les futurs méfaits, » a écrit Amal Clooney. « Ces sanctions sont en effet, dans le climat politique mondial actuel, souvent le seul moyen d’obliger les responsables à rendre des comptes. »
Lors de la réunion de la semaine prochaine, la Coalition pour la liberté des médias devrait donner suite à la recommandation du groupe d’experts de garantir que des sanctions soient utilisées – conformément aux lois internationales relatives aux droits de la personne – contre les gouvernements, les entreprises et les individus qui bafouent systématiquement la liberté de la presse. Nous parlons ici du meurtre de journalistes, de leur emprisonnement abusif ou de la fermeture de bureaux de presse qui critiquent les régimes au pouvoir.
La Coalition devrait également prendre des mesures pour soutenir les médias indépendants, notamment en finançant la formation au journalisme dans les pays les plus pauvres, en organisant des ateliers régionaux sur les avantages de la liberté des médias et en félicitant publiquement les pays qui ont fait des progrès pour mettre fin aux abus.
Les membres de la Coalition doivent également faire leur introspection. Lors du sommet, il faudrait réserver une période importante pour évaluer les enjeux de liberté de la presse des gouvernements membres.
Des journalistes canadiens ont trop souvent été arrêtés pour avoir tenté de couvrir des manifestations, notamment celles organisées par des Autochtones pour défendre leurs droits. Tous les niveaux de gouvernement au Canada doivent s’assurer que la police et les autres autorités connaissent les droits des journalistes à couvrir les manifestations et autres actes de désobéissance civile sans être eux-mêmes détenus. Les gouvernements doivent également s’engager à corriger les régimes d’accès à l’information qui ne garantissent pas actuellement une divulgation complète et dans des délais raisonnables.
L’avenir de la démocratie elle-même est en jeu, car elle est menacée par la résurgence de l’autoritarisme et une attaque mondiale contre les droits de la personne, a averti l’ancien ministre canadien de la Justice, Irwin Cotler, lors du webinaire de septembre. Il a noté que les organisations médiatiques souffrent également sur le plan financier, ce qui menace leur capacité à jouer leur rôle traditionnel qui consiste à rendre responsables les personnes au pouvoir.
« Malheureusement, la liberté des médias est prise en tenaille » a-t-il déclaré, « et cela peut conduire à la mort de la démocratie par mille coupures. »