Passer le flambeau

Lorsque Open Canada a été relancé il y a plus d’un an, l’un des premiers articles que j’ai publiés en tant que rédacteur en chef était un essai du journaliste Kareem Shaheen dans lequel il réfléchissait à son reportage sur la mort et la souffrance des civils pendant la guerre civile en Syrie, et à l’absence apparente de tout impact que ce reportage avait eu. L’expérience l’a changé. « Lorsque le cœur est brisé, il est remodelé pendant sa survie, endurci contre de nouveaux chocs », écrit-il.
Shaheen n’est pas seul. La journaliste Martha Gellhorn a chroniqué la montée du fascisme dans les années 1930 et les guerres qui ont suivi. Plus tard, elle a remarqué l’érosion conséquente de son idéalisme. « Quand j’étais jeune, je croyais à la perfectibilité de l’homme, au progrès, et je voyais le journalisme comme un guide », écrit-elle, avant de conclure : « Pour tout le bien que nos articles ont fait, ils auraient pu être écrits à l’encre invisible, imprimés sur des feuilles mortes, et lâchés dans le vent. »
Je comprends un peu ce que Shaheen et Gellhorn ont ressenti. Je suis journaliste depuis plus de 20 ans. J’ai révélé des injustices, éclairé des endroits sombres et tenté d’amplifier des voix silencieuses. L’injustice et les ténèbres persistent. Les voix silencieuses sont ignorées ou réduites au silence.
Et pourtant, ma conviction de la nécessité du journalisme persiste également. Les articles ne produisent pas tous les résultats que l’on pourrait espérer. Mais l’injustice ne peut jamais être combattue si elle n’est pas d’abord dénoncée. Dans une démocratie, les citoyens ne peuvent pas demander à leurs élus de rendre compte des décisions qu’ils prennent s’ils ne sont pas informés. Les meilleures agences de presse encouragent également l’analyse et le débat libre dans l’espoir que ces échanges nous permettent d’imaginer de nouvelles idées et d’élaborer de meilleures politiques. Certains médias partagent des histoires personnelles fascinantes afin que les lecteurs puissent s’y reconnaître ou découvrir quelque chose de nouveau. Il y a de la valeur là-dedans, aussi.
J’ai essayé de faire tout cela en tant que rédacteur en chef d’Open Canada et, comme vous l’avez peut-être déjà deviné, je fais le bilan de ce travail maintenant, car mon mandat à Open Canada touche à sa fin.
Je suis fier de ce que nous avons accompli depuis la relance, et je suis particulièrement fier des personnes avec lesquelles j’ai eu le privilège de travailler. Elles sont trop nombreuses pour que je puisse les nommer toutes individuellement, mais je dois remercier le président du Conseil international du Canada, Ben Rowswell, qui m’a fait confiance lorsqu’il m’a demandé de diriger la relance d’Open Canada. J’ai apprécié travailler côte à côte avec Jean-Luc Ferland alors que nous développions la présence francophone d’Open Canada. Les Canadiens ne peuvent avoir une véritable conversation nationale que si elle se déroule à la fois en français et en anglais. Le Conseil international du Canada s’engage à poursuivre ces efforts.
Open Canada ne pourrait pas fonctionner sans l’énorme travail de ses bénévoles. Ceux-ci incluent des membres de son conseil consultatif, dont je dépends, et de ceux qui assurent régulièrement la révision, la mise en page et la promotion du magazine, et bien d’autres choses encore. Je leur suis extrêmement reconnaissant pour leur aide et leur camaraderie.
Je suis également reconnaissant aux nombreux collaborateurs d’Open Canada qui m’ont beaucoup appris et ont toujours été un plaisir à lire. Enfin, et surtout, merci à nos lecteurs pour leur attention et leur confiance. Rien de tout cela n’aurait d’importance sans vous.
Je me retire, mais Open Canada va aller de l’avant. La recherche pour un nouveau rédacteur en chef va bientôt commencer. J’encourage tous ceux qui croient en ce que le journalisme peut accomplir et qui se soucient de la place du Canada dans le monde à poser leur candidature. Ce sera toute une aventure.