« Comment vous définissez-vous? »
Le rédacteur veut en savoir plus sur ma citoyenneté. Je prends une pause. Ça fait trop de fois qu’on me la pose, cette question-là. Je pratique ma réponse depuis bien longtemps, mais malgré tout, je serre les dents. J’ai appris à mes dépens qu’il n’y a pas de bonne réponse quand on s’adresse à des Canadiens élevés sous l’influence du mythe de Sir John A. et de la grande Confédération.
Ça devrait être suffisant que je m’identifie en tant que citoyen de ma nation autochtone. Après tout, qui a donné à un roi étranger à l’autre bout du monde le droit de déclarer non-existant les gouvernements, les lois et les institutions de mon peuple, simplement en plantant un maudit drapeau sur nos terres? Nous avions des civilisations, des religions et la science. Ça, je n’en ai aucun doute. Mais, oh Canada, ça ne fait pas de différence puisque vous avez si bien réussi à effacer mon peuple de l’histoire.
Ma nation a regardé Jacques Cartier arriver, établi des traités de paix et de commerce avec les Allemands, les Anglais et les Français, en plus des nations autochtones de partout sur la côte est nord-américaine, de la Baie d’Hudson aux Carolines. Notre constitution, la Grande loi de la Paix, a façonné les réflexions des Pères fondateurs américains et a fait sa marque dans leurs textes fondateurs.
Notre Confédération iroquoise a établi l’égalité entre les sexes, les droits civils et individuels et une forme de gouvernance démocratique et républicaine – bien avant la Confédération et la Charte des droits et libertés du Canada. Ce qui est encore plus impressionnant, c’est que tout cela ait survécu à plus de 300 ans de colonisation britannique, française et canadienne et les nombreuses tentatives d’effacer tout cela de notre mémoire collective.
« Ce n’est pas pour rien que je m’identifie d’abord comme Mohawk »
Aujourd’hui, je ne suis pas confronté à une fouille à nu aux douanes de l’aéroport. Il n’y a personne dans un uniforme bleu pour m’ordonner de stationner ma voiture sur le côté pour qu’il puisse me fouiller pour des drogues, sachant très bien qu’elles n’existent pas, mais simplement pour m’avertir qu’il n’apprécie pas la seule réponse que je peux leur donner à cette question sur ma citoyenneté. Aujourd’hui, c’est un journaliste qui me pose la question. Mais l’insinuation est semblable.
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« Ce n’est pas pour rien que je m’identifie d’abord comme Mohawk »
Avez-vous quelque chose à déclarer M. David?
« Je suis né aux États-Unis, de parents mohawks, tous deux nés au Canada, ce qui me donne une triple citoyenneté », répondis-je. « Je suis Mohawk et citoyen des Six nations de la Confédération iroquoise; je suis donc aussi Canadien et Américain ». Mais si je m’identifie d’abord comme Mohawk, ce n’est pas pour rien.
Je me souviens d’être debout avec les autres enfants de ma classe à réciter le Serment d’allégeance « au drapeau des États-Unis d’Amérique et à la république, » etc., etc. Je me souviens de me tenir debout avec mes camarades de classe pour chanter « Ô Canada, terre de nos aïeux » et tout le tralala. Ce n’est qu’à l’adolescence que j’ai entendu Les mots qui forment toute chose en Mohawk. Certains disent que ce sont des paroles de remerciement ou une prière d’ouverture. Je crois qu’il s’agit d’une engagement envers nos façons d’être.
Les mots ne me demandent pas de m’incliner devant qui ou quoi que ce soit, un drapeau ou un souverain. Ils ne s’attendent pas à ce que je domine, que j’opprime ou que j’exclus les gens d’autres croyances, couleurs ou allégeances politiques. Les mots me lient à tous les êtres vivants et aux nécessités de la vie pour que nous formions un tout universel. Cela m’a toujours semblé mieux et juste. Et à moi.
La plupart des gens ne cochent qu’une case sur les formulaires de douane lorsqu’ils arrivent d’un autre pays. Quelques-uns cochent les deux cases : citoyens canadiens et américains. Le Canada prétend que la troisième case « Autochtone » n’existe pas, même si les droits et privilèges autochtones nous sont accordés par un gouvernement canadien si généreux au moyen de votre Loi sur les Indiens de 1876, une carte de statut et le fait d’appartenir à une bande.
Mais personne ne vous parle de la bulle magique entourant les « réserves et les terres réservées aux Indiens ». Les Indiens, pour utiliser leur jargon, ne peuvent pas posséder de terre sur les réserves. Le Canada affirme que les terres des réserves appartiennent à la Couronne, ce qui dénude de tout sérieux les revendications territoriales. Le Canada règle les revendications territoriales en versant une somme aux Indiens pour qu’ils puissent payer les colonisateurs pour racheter les terres qui leur ont été volées, mais elles redeviennent propriété de la Couronne sans jamais appartenir aux Indiens.
Et ce n’est pas tout.
Une fois qu’un Indien quitte la bulle magique de la réserve, il n’est plus tout à fait Indien. Les cartes de statut ne valent plus grand chose. De toute façon, elles expirent tous les cinq ans. Une carte de bibliothèque dure plus longtemps. Ça veut donc dire que le Gouvernement du Canada peut faire éclater cette bulle magique, quand bon lui semble.
Snap! De même! Fini les Indiens, les réserves et les statuts. La non-existence plane comme une menace constante et omniprésente, peu importe les promesses du gouvernement canadien.
Aux États-Unis, les Indiens sont reconnus comme faisant partie de « Nations indiennes internes, mais dépendantes » avec un pouvoir législatif, des tribunaux, des forces policières et des juridictions. C’est ce qu’on appelle la souveraineté. Le Canada a plutôt élaboré une mosaïque d’ententes de contribution de bandes qui garantissent que les Indiens se nuisent les uns aux autres lorsqu’ils essaient d’unir leurs efforts. Tirez le rideau sur les Affaires indiennes, ou comme ils les appellent les « Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada » et pourtant, vous n’y trouverez aucun magicien qui tire sur les ficelles. On y trouve que des centaines de bureaucrates des plus ternes occupés à noircir du papier et rédiger des politiques arriérées qui entérinent la confusion et l’infériorité autochtone.
Pardonnez-moi si je semble dépeindre les États-Unis comme une utopie autochtone, où tout y est juste, équitable et meilleur. Ce n’est pas mon intention. Le passé et le présent de l’Amérique sont truffés de guerres et de lois vouées à l’extermination autochtone, la dépossession et à semer des sentiers de larmes. Plusieurs de ses législateurs et juristes sont de l’école voulant que Le seul bon Indien soit un Indien mort.
Tout de même, je me souviens encore de mes parents, arrêtés dans un petit restaurant en chemin entre Syracuse et le Canada, épatés par les napperons de papier. On y décrivait la Confédération iroquoise comme étant la première démocratie d’Amérique du Nord et les « Grecs d’Amérique du Nord ». Aux États-Unis, j’ai trouvé des intellectuels sérieux qui reconnaissent et étudient les civilisations, les formes de gouvernance et les sociétés autochtones.
Cela peut être encourageant comparé à l’amnésie de masse prêchée et pratiquée au Canada. Ce peut ressembler aux pingouins de la série animée Madagascar, qui glissent dans leur trou creusé dans le sol en agitant leurs mains dans les airs: « Vous n’avez rien vu. Rien du tout »

Grâce à mes parents, j’ai grandi en apprenant et en admirant certaines choses sur les deux pays. Mon père était un Marine américain qui s’est fait gravement blessé dans le Pacifique au cours de la Deuxième guerre mondiale. Ma mère admirait la Reine Elizabeth II, qui, comme elle, conduisait des camions de provisions et travaillait dans une usine pendant la guerre. Ils parlaient de manifestations pour les droits civils et de la Loi sur le droit de vote aux États-Unis, du séparatisme au Québec et du Livre blanc sur la politique indienne de 1969. Notre maison était remplie de revues et de journaux canadiens et américains. Les soirées de télé étaient animées
par Walter Cronkite et Knowlton Nash. Je suis allé dans vos écoles, j’ai appris votre histoire, vos langues et j’ai pratiqué vos religions.
Vous en avez appris plus à propos du chien de Maisonneuve, Pilote, qui pouvait supposément sentir les Indiens cachés dans le bois et avertir les premiers colons de Montréal, qu’à propos de mon peuple.
J’ai un souvenir d’enfance d’une visite avec mes parents pour aller voir ma tante et mon oncle à leur maison de Saint-Régis, Québec. Nous avons pris l’autoroute 401 à partir de Montréal, passé par Cornwall, en Ontario, traversé le pont au-dessus du fleuve Saint-Laurent et atterri en territoire Mohawk sur l’île de Cornwall. Nous avons passé le pont international des Six nations iroquoises, puis fait le tour des bureaux de douanes canadiennes, toujours en Ontario. Nous avons traversé un autre pont et passé les douanes américaines.
Rendus dans l’État de New York, juste à l’extérieur du village d’Hogansburg, nous sommes passés par le conseil tribal de Saint-Régis. À un carrefour, nous sommes tournés en direction du nord, puis arrêtés à une ligne peinte sur la route. Un homme âgé qui portait un uniforme bleu décoré d’un écusson d’aigle est sorti d’une grange sûrement plus vieille que lui. Mes parents lui ont envoyé la main. Il a fait de même. Quelques kilomètres plus tard, nous sommes passés par le conseil de bande canadien de Saint-Régis, Québec.
Pendant tout ce temps, depuis notre départ de Cornwall, nous nous trouvions dans la communauté d’Akwesasne en territoire Mohawk.
Sept juridictions. Un peuple. Une communauté. Mon peuple, ma famille, mes clans, même si je vivais à 90 milles de là, à Kanehsatà:ke en territoire Mohawk près d’Oka.
Pis, c’était quoi encore votre question?