Les Inuits, un peuple autochtone distinct vivant dans l’Arctique circumpolaire, ont une histoire dans ce qui est maintenant le Canada depuis des temps immémoriaux. Mais ce n’est qu’au cours des 70 dernières années environ, depuis les années 1950, que nous sommes devenus partie intégrante de la société canadienne.
Auparavant, les Inuits interagissaient parfois avec le gouvernement canadien et le monde non inuit dans les postes de traite de l’Arctique, mais c’était tout. Ottawa, cependant, essayait déjà d’intégrer les Inuits au reste du Canada en leur émettant des « étiquettes d’identification esquimaux », des disques portant des numéros au lieu de noms, car les agents du gouvernement ne pouvaient pas prononcer ou comprendre les noms en inuktitut. Mais ces efforts n’ont pas été très fructueux et de nombreux Inuits ont continué à vivre selon leurs coutumes.
Puis, en 1953 et 1955, le gouvernement canadien a ordonné la relocalisation des Inuits de la côte est de la Baie d’Hudson vers le Haut-Arctique afin d’y affirmer la souveraineté canadienne. Mon grand-père, John Amagoalik, qui est né sur les terres situées au nord de ce qui est aujourd’hui Inukjuak, au Québec, était l’un des quelque 92 Inuits qui ont été contraints de partir, avec la promesse qu’ils pourraient revenir après deux ans s’ils n’aimaient pas leur nouveau foyer situé à quelque 2 000 kilomètres plus au nord.
Au terme de ces deux années, ils ont eu la possibilité de revenir, mais on leur a dit qu’ils devraient payer leur propre transport, ce qui n’était pas envisageable. Ces communautés, Resolute et Grise Fiord, sont encore peuplées aujourd’hui.
Ce n’est qu’après ces relocalisations que les Inuits de ce qui est maintenant le territoire du Nunavut ont été véritablement considérés comme faisant partie de la société canadienne. Non pas parce que les Inuits avaient été conquis, avaient perdu des guerres ou avaient cédé leurs droits, mais parce que nous étions des mâts de drapeau canadiens dans le Haut-Arctique, signalant au reste du monde que cette vaste région délaissée appartenait au Canada. Les Inuits sont devenus des Canadiens non pas parce que quelqu’un le leur a demandé, mais parce qu’il était commode pour Ottawa qu’ils le soient.
« Nous étions des mâts de drapeau canadiens dans le Haut-Arctique, signalant au reste du monde que cette vaste région déslaissée appartenait au Canada. »
Cette relocalisation a déclenché d’autres mesures visant à consolider la position du Canada dans l’Arctique, notamment la transition forcée d’une vie semi-nomade dans des camps saisonniers à une vie dans des communautés établies. Auparavant, les Inuits étaient libres de se rendre aux postes de traite quand ils le souhaitaient et de les quitter quand cela leur convenait. Tout a changé lorsque la Gendarmerie royale du Canada (GRC) et d’autres autorités ont abattu des centaines, voire des milliers, de chiens de traîneau inuits dans les années 1950 et 1960. C’était comme couper les jambes des Inuits. Ils ne pouvaient plus se déplacer et ont dû vivre et travailler dans des campements. Le film de Zacharias Kunuk, One Day in the Life of Noah Piugattuk, est un excellent compte rendu de la manière dont un groupe d’Inuits a été soumis à de telles conditions.
Tout cela s’est déroulé pendant la Guerre froide. Le Canada s’inquiétait de la menace soviétique perçue dans l’Arctique. Il pensait également au potentiel d’exploitation des ressources à cet endroit. Ottawa voyait les Inuits comme des outils à utiliser et à déplacer comme des pièces sur un échiquier.
Dans le cadre de ses efforts d’assimilation des Inuits, le Canada a notamment forcé les enfants inuits à fréquenter des pensionnats et des externats réputés pour les mauvais traitements qu’ils infligeaient. Cette réalité a été mise en lumière cette année par la découverte de tombes non marquées d’enfants sur les terrains d’anciens pensionnats pour enfants des Premières nations dans le Sud.
Cette tragédie a eu des effets graves et durables sur les Inuits, qui se font sentir encore aujourd’hui. Mais les Inuits ont également utilisé ce qu’ils ont appris dans ces écoles. Les Inuits savaient qu’ils n’avaient jamais été conquis ni cédé leurs droits par des traités. Alors que le monde s’intéressait de nouveau à l’Arctique, les Inuits ont compris qu’ils devaient revendiquer la souveraineté sur ce qui a toujours été leur foyer.
Les Inuits, dont John Amagoalik, mon grand-père, qui avait été déplacé de force lorsqu’il était enfant, ont fait le tour du Canada et du monde pour expliquer aux autres qui sont les Inuits et ce qu’ils veulent faire par le biais de diverses revendications territoriales. Ils ont essayé d’expliquer que si nous sommes heureux de rester des membres actifs de la société canadienne, nous devons faire respecter nos droits. Si l’on considère que les populations inuites du Canada s’étendent de la côte nord-est du Labrador jusqu’à l’extrême ouest des Territoires du Nord-Ouest, cela pouvait modifier considérablement l’aspect du Nord canadien pour le reste du Canada et pour le reste du monde.
Les négociations sur la création du Nunavut, qui signifie « Notre terre » en inuktitut, ont duré des décennies, jusqu’à la signature de l’Accord sur le Nunavut en 1993 et la déclaration officielle du Nunavut en tant que territoire en 1999. Aujourd’hui, les Nunavummiut (mot inuktitut désignant une personne du Nunavut) poursuivent ces efforts, travaillant toujours à revendiquer et à défendre la souveraineté de notre propre territoire.
L’intérêt de la Chine pour le passage du Nord-Ouest, l’intérêt des compagnies pétrolières et gazières pour de nouvelles possibilités d’exploration et les compagnies minières cherchant à extraire des ressources naturelles ont tous le potentiel de remettre en question la souveraineté des Inuits dans l’Arctique. L’intérêt pour l’exploitation minière, en particulier, augmente, et plusieurs mines sont actuellement exploitées au Nunavut. Certaines entreprises ont de bonnes relations avec les Inuits, tandis que d’autres ont des difficultés — non pas des difficultés financières, mais relationnelles.
En général, les sociétés minières du Nunavut doivent signer des ententes sur les répercussions et les avantages pour les Inuits, qui stipulent qu’un pourcentage des profits doit être versé aux organisations inuites. Cela a pour but de s’assurer que les Inuits profitent aussi financièrement des opérations minières sur leur territoire.
Les entreprises ne négocient pas seulement des questions financières. L’un des points les plus controversés concernant l’extraction des ressources dans le Nord est son impact sur l’environnement, qu’il s’agisse du transport maritime qui affecte les mammifères marins, du camionnage qui affecte la migration des caribous ou de la poussière et du ruissellement qui peuvent affecter presque tout.
L’année dernière, les Inuits ont bloqué la piste d’atterrissage d’une mine parce qu’ils s’inquiétaient de l’impact environnemental de l’expansion des opérations. Ils ont bravé des températures de -36 °C et une obscurité quasi permanente. Il n’est pas facile ni économique de faire entrer et sortir du matériel du Nord, ce qui signifie que ce genre de blocus peut être très coûteux. Quand il y a autant d’argent sur la table pour les entreprises qui veulent opérer au Nunavut, que peuvent-elles faire pour s’assurer que les opérations sont mutuellement bénéfiques?
« Les Inuits ont toujours travaillé ensemble. C’est ainsi que nous avons survécu pendant des milliers d’années dans un paysage qui, à première vue, semble peu attrayant et vide. »
La réponse est simple. Soyez respectueux et collaboratif. Compte tenu de l’histoire des Inuits et des relations que nous avons entretenues avec ceux qui viennent sur notre territoire, c’est le moins que l’on puisse faire. Les Inuits ont toujours travaillé ensemble. C’est ainsi que nous avons survécu pendant des milliers d’années dans un paysage qui, à première vue, semble peu attrayant et vide. Il y a de la beauté ici, vous pouvez voir l’horizon de n’importe où. Travaillez avec nous sur n’importe quel projet que vous souhaitez mener à bien dans l’Arctique.
Vous devrez également faire preuve de créativité. Oui, les redevances monétaires sont importantes pour fournir aux Inuits les fonds dont ils ont besoin pour subsister, mais la coopération est bien plus que monétaire. Nous sommes un peuple. C’est ce que le mot Inuit signifie dans notre langue : peuple. Les Inuits sont encore en train d’apprendre ce que signifie être un peuple distinct dans une économie mondiale. Nous apprenons comment les choses que nous faisons ont un impact sur les autres et comment les choses que les autres font ont un impact sur nous. La créativité est essentielle pour garantir l’épanouissement de nos relations et leur caractère mutuellement bénéfique.
Donc, si vous regardez vers le nord, que ce soit pour un voyage que vous ne ferez qu’une fois dans votre vie (et ce sera le cas si l’on considère le coût du voyage en avion) ou si vous vous intéressez à l’évolution de divers secteurs et industries, je vous demande simplement de suivre ces règles simples : Soyez respectueux. Soyez collaboratif. Soyez créatif. Cela contribuera grandement à respecter le cheminement des Inuits alors que nous affirmons notre souveraineté, et à nous respecter en tant que peuple accueillant qui continue à défendre sa culture.