La soif des minéraux

Accès aux minéraux critiques : La géopolitique de la transition énergétique.

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31 March, 2021
Le Salar de Uyuni (Salar d'Uyuni) à Potosi, en Bolivie, le mercredi 11 décembre 2019. L'Amérique du Sud contrôle environ 70% des réserves mondiales de lithium, le métal utilisé dans les batteries rechargeables pour téléphones mobiles et les véhicules électriques. Photographe: Carlos Becerra / Bloomberg via Getty Images

L’année 2020 a été noire pour bien du monde. Mais peut-être a-t-elle offert une lueur d’espoir pour la planète, puisqu’on aura assisté à un basculement des efforts à l’international vers la consommation d’énergies renouvelables.

En fait, selon les Nations-Unies, le nombre d’États et d’entreprises à avoir pris un engagement de carboneutralité aurait doublé.

 Cette transition avait déjà pris un coup d’accélérateur depuis dix ans en raison de la baisse spectaculaire du prix des énergies éolienne et solaire.

Entre 2010 et 2019, selon l’organisme IRENA, le coût de l’électricité de source solaire aurait chuté de 82 %, celui de l’éolien terrestre de 39 %.

Si bien que les énergies renouvelables compteront pour près de 60 % du parc mondial de production d’électricité d’ici 2050, indique Bloomberg NEF, avec un rôle central joué par les batteries pour stocker l’électricité.

En septembre 2020, la Californie a annoncé qu’elle imposera que l’achat de tout véhicule vendu soit à émission nulle à partir de 2035. Le Québec a emboité le pas avec une mesure similaire en novembre.

Par leur nature strictement locale, le soleil et le vent sont en théorie dépourvus de toute nature politique.  Comme disait le président Jimmy Carter en juin 1979, « personne ne peut placer un « embargo contre le soleil ».

Pourtant, les énergies renouvelables ne sont pas, loin de là, hors du champ de la géopolitique.

Les renouvelables et l’accès aux minéraux critiques

Les énergies renouvelables et ses composantes (batteries, éoliennes, panneaux solaires) requièrent beaucoup de minéraux : cobalt, lithium, nickel notamment, dont certains dits « éléments de terres rares ».

« Nous allons consommer davantage de minéraux durant la prochaine génération qu’au cours des 70 000 dernières années. »

Un rapport de la Banque mondiale (2020) indique que la production de cobalt, de graphite, et de lithium devra augmenter de presque 500 % (niveau de 2018) d’ici 2050 pour combler les besoins de l’industrie des énergies renouvelables.

L’auteur français Guillaume Pitron, spécialiste de la géopolitique des matières premières, prédit que nous allons consommer davantage de minéraux durant la prochaine génération qu’au cours des 70 000 dernières années.

En effet :

  • les véhicules électriques nécessitent cinq fois plus de minéraux qu’un véhicule à essence, de bonnes quantités de cobalt, de cuivre, de nickel, du manganèse ;
  • les panneaux solaires ont besoin de bons approvisionnements en silicium ;
  • une éolienne exige huit fois plus de matériaux qu’une centrale au gaz de même capacité ;
  • une batterie lithium-ion est faite de grandes quantités de cobalt, de nickel et, bien sûr, de lithium.

Le graphique suivant, de l’Agence internationale de l’énergie, démontre l’importance des minéraux pour la transition énergétique, dans ce cas ci- pour l’électrification des transports.

Minéraux utilisés dans la construction de voitures – 6 Mai 2020

Source : Agence internationale de l’énergie
https://www.iea.org/data-and-statistics/charts/minerals-used-in-selected-transport-technologies

Tout comme le pétrole, certains minéraux nécessaires pour soutenir la croissance des renouvelables, surtout pour la production des batteries, sont aujourd’hui concentrés dans certains pays.

Certains d’entre eux sont sujets à la convoitise des pays consommateurs, comme l’est l’Arabie saoudite pour le pétrole.

Le tableau qui suit permet de mieux visualiser cette concentration de la production de minéraux.

Portion de certaines ressources et minéraux produite par les trois plus importants producteurs – 7 Mai 2020

Source : Agence internationale de l’énergie
https://www.iea.org/data-and-statistics/charts/share-of-top-3-producing-countries-in-total-production-for-selected-resources-and-minerals-2019

Comme on le voit, le platine se retrouve surtout en Afrique du Sud (72 %); le lithium en Australie (54 %) et au Chili (23 %), le cobalt se retrouve principalement en République démocratique du Congo (71 %), pays à la gouvernance instable.

Le lithium occupe une place particulièrement importante. Certains lui attribuent pour l’avenir le même rôle stratégique que le pétrole. Or, les États-Unis ne produisent que deux pour cent de la capacité mondiale de ce minerai.

« Plusieurs analystes s’inquiètent que cette forte demande des minéraux ne fasse l’objet de rivalités, de tentatives de manipulations de marché, voire de conflits commerciaux ou armés. »

Au niveau des entreprises, une firme de production d’automobiles électriques comme Tesla, tout comme les autres constructeurs qui prennent le virage électrique, a un intérêt hautement stratégique à consolider un approvisionnement régulier et stable en lithium et en nickel pour soutenir sa production de batteries.

Plusieurs analystes s’inquiètent que cette forte demande des minéraux ne fasse l’objet de rivalités, de tentatives de manipulations de marché, voire de conflits commerciaux ou armés, comme cela a été le cas durant les crises pétrolières des années 1970 ou des années 2000.

L’Agence internationale de l’énergie confirme cette « géopolitisation » liée à l’accès aux minéraux nécessaires aux énergies renouvelables.

Elle souligne que la volatilité des prix ces dernières années a surpris et éveillé les gouvernements à l’importance d’assurer un approvisionnement fiable pour soutenir la transition énergétique.

L’approvisionnement en minéraux : un enjeu stratégique pour les États

L’enjeu attire l’attention des plus hautes instances.

Le 24 février 2021, les États-Unis ont annoncé l’adoption d’une directive présidentielle visant dans les cent prochains jours une revue complète des chaines d’approvisionnement en minéraux et l’identification de moyens pour sécuriser ces approvisionnements.

Le communiqué indique :

« Alors que nous agissons pour lutter contre la crise climatique, nous savons que cela entraînera une forte demande pour de nouvelles technologies comme les batteries de véhicules électriques. […] alors que les États-Unis sont un exportateur net de véhicules électriques, nous ne sommes pas un chef de file dans la chaîne d’approvisionnement associée à la production de batteries électriques. »

En 1954, le pays dépendait d’approvisionnements extérieurs pour huit minéraux. En 2018, le pays dépend à 100 % d’approvisionnements étrangers pour 18 minéraux et pour plus de 50 % pour 30 autres minéraux.

La volonté américaine, comme celle du Canada et de l’Europe, est de bâtir un approvisionnement sécuritaire, stable et répondant à ses normes environnementales.

L’arrivée au pouvoir de Joe Biden à la présidence américaine en janvier 2021 a permis de relancer les discussions sur un axe nord-américain d’approvisionnement.

En 2020, le Canada et les États-Unis avaient convenu de renforcer leur collaboration dans le renforcement des chaines d’approvisionnement en minéraux, notamment pour les batteries, et élaborer un plan d’action conjoint. Le Canada est le fournisseur important de 13 des 35 minéraux que les États-Unis jugent essentiels à leur sécurité économique et nationale.

Plus récemment, le 22 février 2021, le premier sommet Biden-Trudeau a consacré l’instauration d’une Feuille de route pour un partenariat renouvelé États-Unis-Canada.

Dans leur volonté de développer des alliances à l’international, les États-Unis ont également mis sur pied une Initiative de gouvernance des ressources énergétiques (2019), auquel s’est joint le Canada aux fins de favoriser, via les règles du marché, un approvisionnement prévisible et fiable des minéraux.

Le rôle dominant de la Chine

Depuis une décennie, la Chine s’est inscrite comme leader en production éolienne, mais surtout solaire, et a assumé une position prééminente dans la chaine d’approvisionnement des matières premières liées à ce secteur.

Ce pays accapare plus de 60 % des capacités de production de cobalt et de lithium (2020).

Plusieurs pays, notamment dans le triumvirat États-Unis/Europe/Japon, s’en inquiètent et veulent contenir l’influence que cette domination confère à la Chine, notamment en développant leurs propres filières, en diversifiant les sources d’approvisionnement et en misant sur le recyclage, notamment des matériaux de batteries en fin de vies utiles.

En 2010, un événement a grandement éveillé les consciences sur les effets potentiellement néfastes d’une telle dépendance envers un seul fournisseur : le prix de certains matériaux (molybdène, tungstène), extraits en Chine, a subitement explosé.

Cela a donné lieu à une contestation des États-Unis, du Japon et de l’Union européenne auprès de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), cause gagnée par ces parties après quatre années de disputes.

À la suite de quoi, une volonté de bâtir des chaines d’approvisionnement s’est manifestée en Europe notamment avec l’établissement en 2017 d’une European Battery Alliance visant le développement d’une capacité autonome de production de batteries pour couvrir les besoins de son vaste marché, estimé à 250 milliards d’Euros en 2025.

En décembre 2020, une proposition de directive a été annoncée aux fins de resserrer les normes environnementales requises pour le marché des batteries sur le continent. Cette proposition a pour fin, selon plusieurs, de restreindre l’accès des fournisseurs chinois le temps que l’Europe mette en place sa propre chaine d’approvisionnement.

Dans son livre, Guillaume Piton décrit combien l’exploitation intensive des minéraux en Chine entraine aussi des désastres écologiques, encore mal connus en Occident.

De longs reportages du Washington Post publié en 2016 rapportent les méfaits environnementaux de la production du graphite, en Chine et au Congo.

Et au Canada ?

« Au Canada, nos gouvernements et l’industrie minière sont dans le coup et veulent clairement tirer leur épingle du jeu de cette transition à une économie dite verte. »

Au Canada, nos gouvernements et l’industrie minière sont dans le coup et veulent clairement tirer leur épingle du jeu de cette transition à une économie dite verte.

En mars 2020, le gouvernement fédéral a lancé un Plan canadien pour les minéraux et les métaux, visant à faire du pays un leader mondial des chaines d’approvisionnement, notamment auprès des États-Unis et des pays européens.

On y lit : « Les minéraux critiques comprennent des minéraux indispensables pour certaines technologies propres, dont les batteries. Il s’agit d’une occasion générationnelle pour le Canada de mettre sur pied des chaînes de valeur pour les batteries de pointe, lesquelles contribueront à la transition énergétique mondiale. Les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux collaboreront pour contribuer à attirer les principaux fabricants de batteries et à produire des véhicules électriques ; à aménager des systèmes fixes de stockage d’énergie ; et à mettre au point les technologies de l’avenir, comme le recyclage des batteries en fin de vie. »

Les atouts du Canada sont évidents : « Le pays est actuellement au 4e rang mondial et au 1er rang en Amérique du Nord pour ce qui est des capacités liées aux matières premières dans la chaîne d’approvisionnement en batteries, et devrait se hisser au 3e rang (mondial) d’ici 2025. »

Le Canada recèle en effet de vastes quantités exploitable de cobalt, de graphite, de lithium, de nickel et éléments des terres rares.

Le 11 mars 2021, le pays a dévoilé une liste de 31 minéraux critiques « considérés comme essentiels pour la réussite économique durable du Canada. »

De plus, son cadre juridique et normatif lui donne un avantage auprès d’acheteurs soucieux du respect de normes élevées en matière d’environnement, de gouvernance et de droits humains.

Les provinces s’intéressent aussi à cet enjeu.

Le Gouvernement du Québec a adopté le Plan québécois pour la valorisation des minéraux critiques et stratégiques 2020-2025, avec une liste de 22 minéraux jugés critiques, dont le graphite, le lithium, le nickel.

L’intérêt économique est grand, avec 22 mines actives au Québec, 30 000 emplois directs et indirects, particulièrement en région, où on cherche à attirer des jeunes et des immigrants.

L’objectif est de faire valoir le Québec comme partenaire fiable et responsable en matière d’approvisionnement et d’attirer des investissements étrangers, en misant notamment sur une énergie propre (l’hydroélectricité) et à prix compétitif.

Les autres provinces prennent aussi du rythme. L’Ontario a annoncé, le 10 mars 2021, sa première stratégie en matière de minéraux critiques. La province dispose en effet de bonnes réserves de cuivre, de cobalt, de nickel et de platine, notamment situés dans le nord de la province. Cette dernière s’enorgueillit de produire 22 % de la production totale de minéraux du pays.

Elle a aussi pour ambition de faire de la province un centre mondial de production de batteries pour véhicules électriques.

La course mondiale vers ce nouvel eldorado de l’approvisionnement en minéraux est bel et bien engagée, une « course aux armements » (global battery arms race), selon certains.

Depuis le début du 20e siècle, on témoigne de l’importance d’un accès stable et régulier en pétrole, l’énergie de choix en mobilité. Dans les prochaines années, on peut aussi facilement envisager que l’approvisionnement en minéraux donne lieu à des alliances semblables des pays producteurs avec les grands pays consommateurs pour réduire la vulnérabilité de ses derniers face à des chocs en approvisionnement ou en prix.

Les pays qui développeront une capacité de production et de transformation des minéraux le plus rapidement possible en tireront des avantages : ils pourront devenir des fournisseurs privilégiés, et se faire accorder un poids géopolitique plus important, comme les grands producteurs de pétrole depuis un siècle.

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