L’invasion russe de l’Ukraine n’est que la dernière crise à mettre en exergue un système multilatéral sous tension. Depuis longtemps, nous nous lamentons du fait que nos institutions mondiales soient désuètes et inefficaces. Certainement, le veto russe sur la résolution condamnant son agression,enest l’exemple le plus frappant. Qu’un membre permanent du Conseil de Sécurité (P5) agisse ainsi démontre la faiblesse de notre système international bâti au sortir de la Deuxième Guerre mondiale.
Rappelons qu’à sa création es membres du P5, c’est-à-dire la Chine, la France, le Royaume-Uni, la Russie, et les Etats-Unis avaient la responsabilité d’assurer la paix et la sécurité internationale. Cependant cette réalité, instauré par la Charte, a mené à un véritable théâtre de rivalités entre les grandes puissances. Le prix de ce spectacle à l’échelle mondiale a été l’érosion de la crédibilité de l’institution, et plus important encore, sa capacité à résoudre ou à éviter les grands conflits de notre temps.
Tel est le constat largement répandu. Et au cœur de ce problème, il y aurait la Charte des Nations Unies – souvent vue comme anachronique. Or, c’est tout le contraire. Une relecture du texte démontre à quel point elle fut brillamment écrite. Une de ses grandes qualités est sa simplicité, tant dans le langage que dans la forme. Et en réalité, mis à part la composition du Conseil de sécurité, la Charte demeure plus pertinente que jamais.
Pour faire ce point, reprenons ici les deux premiers paragraphes de l’Article 1 :
“Les buts des Nations Unies sont les suivants :
1. Maintenir la paix et la sécurité internationales et à cette fin : prendre des mesures collectives efficaces en vue de prévenir et d’écarter les menaces à la paix et de réprimer tout acte d’agression ou autre rupture de la paix, et réaliser, par des moyens pacifiques, conformément aux principes de la justice et du droit international, l’ajustement ou le règlement de différends ou de situations, de caractère international, susceptibles de mener à une rupture de la paix;”
2. Développer entre les nations des relations amicales fondées sur le respect du principe de l’égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes, et prendre toutes autres mesures propres à consolider la paix du monde;
Comment dire que ces objectifs ne sont pas toujours d’actualité !
Et quant au Conseil de sécurité, la Charte avait bel et bien envisagé le besoin pour un membre de s’abstenir advenant qu’il soit impliqué dans le conflit en question.
Voici l’Article 27, para 3 :
“Les décisions du Conseil de sécurité sur toutes autres questions sont prises par un vote affirmatif de neuf de ses membres dans lequel sont comprises les voix de tous les membres permanents, étant entendu que, dans les décisions prises aux termes du Chapitre VI et du paragraphe 3 de l’Article 52, une partie à un différend s’abstient de voter.”
La Charte est claire alors pourquoi les pays membres n’ont-ils pas fait valoir la non conformité du droit de veto russe sur l’Ukraine?
Les raisons du manque d’invocation de cette clause sont complexes. D’une part, le manque cumulatif d’action par le passé a créé un climat de statu quo. Je l’ai vu à maintes reprises; toute solution innovante, même si bien fondée, est perçue d’un mauvais œil. C’est devenu la véritable culture de l’organisation: On a même tendance à se méfier des changements dans les opérations de l’organisation. Par conséquent, toute initiative ambitieuse ne voit souvent pas le jour où encore perd son élan dans les bureaucraties des capitales loin de New York ou Genève.
Les membres permanents sont particulièrement réfractaires à toute approche hors des sentiers battus, surtout quand ça ne vient pas d’eux. Ils protègent leurs droits acquis à tout prix et ralentissent toute évolution possible. Même si la Russie n’avait pas le droit de voter sur une résolution concernant la crise en Ukraine, le Conseil l’accepte en conformité avec la pratique antérieure.
Le résultat est que dans un monde ou plus que jamais, les défis déboulent en rafale, la marge pour une utilisation courageuse et créative de la Charte est très limitée. C’est pourquoi les victoires sont devenues plus symboliques que conséquentes.
Ceci nous rappelle également que ce sont les pays membres qui font le choix d’utiliser la vraie portée de la Charte -ou pas. Qu’un état membre comme la Fédération de Russie entrave ses principes en attaquant un autre pays souverain c’est une grave atteinte à la crédibilité de l’organisation. Cependant, que les États membres errent dans l’application de la Charte c’est une entorse au fonctionnement de l’institution.
Mais l’Assemblée générale des Nations Unies n’est pas sans ses surprises. Alors que toutes les caméras étaient tournées sur l’Ukraine, 141 États membres ont voté lors d’une session spéciale en faveur d’une résolution condamnant l’invasion russe.
Le document fondateur offre une porte de sortie de la crise ukrainienne. La communauté internationale accueillerait positivement que des pays comme le Canada, qui ont tant contribué à sa rédaction, continue de défendre la charte et utilise son plein pouvoir.