Le chef de la direction et secrétaire général du Comité olympique canadien (COC), David Shoemaker, a fait la déclaration suivante le 3 février dernier :
« Au cours des derniers mois, nous avons eu vent d’appels au boycottage des Jeux de Pékin. Le bilan troublant de la Chine en matière des droits de la personne, l’oppression des Ouïghours musulmans et la détention des Canadiens Michael Kovrig et Michael Spavor sont des sujets qui préoccupent profondément. D’aucune façon, le Comité olympique canadien et le Comité paralympique canadien ne minimisent ce qui se passe en Chine. Cependant, un boycottage n’est pas la solution. Nous croyons plutôt que les intérêts de tous les Canadiens et de la communauté mondiale progresseront davantage grâce aux compétitions et par la célébration des performances et des valeurs canadiennes sur la scène olympique et paralympique. »
Il aurait été surprenant d’entendre un autre point de vue de la part de M. Shoemaker.
Il faut reconnaître les sacrifices personnels que font les athlètes pour participer aux Jeux olympiques. De plus, la plupart d’entre eux ne peuvent espérer y participer qu’une seule fois pour vivre leur rêve de gagner une médaille. Cependant,reste que les Jeux ont un côté éminemment politique: les pays qui les organisent s’en servent pour illustrer leurs réalisations. C’est bien sûr le cas de la Chine qui a organisé les Jeux d’été de 2008 pour étaler sa modernité et montrer qu’elle était capable d’accueillir le monde avec brio. On se souvient d’ailleurs des spectaculaires cérémonies d’ouverture. À noter que déjà, à l’époque, le fait que ces Jeux se déroulent à Pékin ne faisait pas l’unanimité à cause des préoccupations liées aux droits de la personne. La Chine avait promis que la situation s’améliorerait. Force est de constater qu’il n’y a pas eu de progrès du côté de la liberté d’expression, de la liberté religieuse ou de la démocratie. Bien au contraire.
La situation en Chine
Au cours des deux dernières années, le monde entier a pu constater les dérives autoritaires du régime dirigé par le président Xi Jinping: non-respect du traité garantissant l’autonomie de Hong Kong; militarisation dans la mer de Chine méridionale ; pressions accrues sur Taiwan; instauration du système de crédit social; prise d’otages comme outil de coercition; mais surtout, des mesures extraordinaires de répression de la pratique religieuse dans la région supposément autonome du Xinjiang, avec l’internement d’au moins un million de personnes dans des camps de rééducation, la destruction massive de mosquées et la stérilisation forcée de Ouïghoures, sans parler des viols collectifs tels que rapportés par la BBC.
« La tenue des Jeux de 2022 sera utilisée par Xi pour confirmer le statut de superpuissance de la Chine et démontrer à sa population qu’aucun pays n’ose maintenant s’opposer à sa volonté. »
Pour toutes ces raisons, il est devenu impossible pour la communauté internationale de se réfugier derrière les feuilles de vigne habituelles et de donner encore le bénéfice du doute à la Chine. Il faut reconnaître que Xi Jinping est un leader autoritaire, sans vergogne, qui veut non seulement redonner sa grandeur à la Chine, mais qui estime que les pays occidentaux – à l’exception peut-être des États-Unis – dépendent tellement du marché et des investissements chinois qu’ils ne peuvent se dresser sur son chemin. La tenue des Jeux de 2022 sera utilisée par Xi pour confirmer le statut de superpuissance de la Chine et démontrer à sa population qu’aucun pays n’ose maintenant s’opposer à sa volonté. Il s’agit d’un enjeu majeur pour tous les pays démocratiques. Si la communauté internationale joue à son jeu – ou à ses Jeux – la Chine redoublera ses efforts pour exporter son modèle et écraser les critiques de ses mesures répressives.
C’est dans ce contexte que les ministres des Affaires étrangères du Royaume-Uni et de l’Australie ont évoqué la possibilité d’un boycottage des Jeux de Pékin de 2022. Bien sûr, plusieurs ont souligné que le boycottage des Jeux de Moscou en 1980 n’a rien changé en Afghanistan puisque l’Union soviétique a continué son occupation pendant plusieurs années. Cependant, la gravité des faits reprochés à la Chine est tout autre: la politique que Pékin poursuit au Xinjiang rencontre selon moi les conditions établies par l’ONU pour établir qu’il s’agit là d’un génocide. Comment l’histoire nous jugera-t-elle si nous décidons de fermer les yeux et de participer à ces Jeux ? Bien sûr, la Chine s’est empressée de menacer de représailles extraordinaires quiconque oserait demander le boycottage des Jeux ou pire, leur déplacement vers un autre pays. Or, le prestige que la Chine espère tirer de ces Jeux offre un levier à la communauté internationale pour exiger des changements.
Comment exprimer son désaccord avec ce qui se passe en Chine?
La réunion de la nouvelle « alliance des démocraties » organisée en avril prochain par le président Biden sera l’occasion de discuter de la question et d’essayer de s’entendre sur des mesures communes. Par exemple, un ultimatum pourrait être servi à la Chine : acceptez qu’une commission internationale sous l’égide des Nations Unies se rende enquêter dans la région du Xinjiang le plus tôt possible, avec la garantie qu’elle pourra avoir accès aux camps de détention et interroger qui elle voudra. Étant donné que les pays qui participent aux Jeux d’hiver sont surtout de l’hémisphère nord et démocratiques, une menace de boycott aurait plus de chances d’être prise au sérieux par la Chine.
Une autre avenue, plus souhaitable, serait de déplacer les Jeux. Le Comité international olympique (CIO) répondra qu’il est trop tard pour le faire, mais soyons réalistes : avec la multiplication rapide de variants du virus, la pandémie de la COVID-19 risque de faire encore des ravages en février 2022. Le CIO pourrait reporter l’événement à février 2023, ce qui donnerait aux nouveaux organisateurs plus de temps pour se préparer. Cette échéance, tout de même rapide, signifie qu’il faudrait que les Jeux aient lieu dans un pays qui les a déjà organisés. Ainsi, le Canada pourrait s’associer aux États-Unis pour offrir que les Jeux se tiennent à Lake Placid, Montréal et Québec. Ceci aurait l’avantage de contenir la réaction virulente de la Chine. Ou encore, les Jeux pourraient aussi être organisés à Vancouver, Whistler et Seattle ou une autre ville américaine.
« Le déplacement des Jeux confirmerait que les pays démocratiques ne renonceront pas à leurs valeurs face à la montée de la Chine. »
Le déplacement des Jeux confirmerait que les pays démocratiques ne renonceront pas à leurs valeurs face à la montée de la Chine. De plus, cela viendrait outiller les forces plus progressistes au sein du Parti communiste chinois. La Chine n’est pas un pays monolithique, et même si Xi a consolidé son pouvoir, une certaine opposition perdure au sein de son parti. On y retrouve quelques factions associées aux anciens présidents qui ont été sujettes aux attaques de Xi Jinping. Ces acteurs politiques, ainsi que les intellectuels, universitaires et autres opposants aux politiques menées par Xi sur le plan domestique et international, s’en tireraient mieux équipés pour forcer le président à changer ses politiques.
Que faire si les Jeux ont quand même lieu à Pékin?
Il se peut fort bien que la Chine exerce suffisamment de pression, ou jette juste assez de lest, pour que les Jeux aient quand même lieu à Pékin. Les chefs d’état et de gouvernements seront conviés à la cérémonie d’ouverture et la Chine fera le nécessaire pour souligner leur présence à ses citoyens. Rappelons-nous qu’en 2008, le premier ministre Stephen Harper avait boycotté les Jeux olympiques de Pékin, ce que la Chine lui avait longuement reproché. Dans ce cas-ci, il serait inconcevable que le premier ministre, ou le gouverneur général s’y rende. D’ailleurs, lors des Jeux de Moscou, certains pays comme la France et la Grande-Bretagne avaient soit boycotté la cérémonie d’ouverture, soit envoyé un seul représentant.
Le COC a aussi indiqué qu’il aviserait les athlètes canadiens de ne pas faire de commentaire sur la situation des Ouïghours au Xinjiang. De ce côté, même si les athlètes n’auront pas de passeports diplomatiques pour aller en Chine et donc aucune immunité diplomatique, il est très peu probable que la Chine ose exercer des mesures de représailles si un athlète décidait, par exemple, de porter un écusson sur son manteau pour exprimer son opposition à l’emprisonnement de Michael Kovrig et Michael Spavor, ou à la situation au Xinjiang. Bien sûr, cela aurait plus d’impacts si plusieurs athlètes représentant différents pays posaient le geste.
Conclusion
La tenue des Jeux olympiques d’hiver à Pékin en février 2022 crée un casse-tête pour les pays démocratiques qui s‘opposent à l’autoritarisme du président Xi Jinping, et au génocide en cours dans la région du Xinjiang. Une participation aux Jeux servirait à la Chine pour confirmer son statut de superpuissance et la réalité qui l’accompagne : peu importe ses actions, peu ou prou de pays osent la critiquer. Ceci constituerait une menace directe aux valeurs qui nous sont chères et ouvrirait la porte à une approche encore plus agressive de la Chine pour imposer son modèle. Dans les circonstances, les pays qui tiennent à nos valeurs démocratiques doivent s’opposer à la tenue des Jeux à Pékin et exiger du CIO qu’ils soient déplacés. Le Canada et les États-Unis seraient relativement bien placés pour les organiser en février 2023, en utilisant les installations déjà en place.