Droits autochtones : Entrevue avec Michèle Audette

Alors que le Canada est confronté une fois de plus à un épisode génocidaire de son histoire, revenons sur la question : le projet de Loi C-15 fera-t-il avancer les droits des peuples autochtones ?

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10 June, 2021
Image de Michèle Audette: gracieuseté de l'Université Laval

Michèle Audette doit être dévastée. Rejointe au téléphone plus tôt ce printemps, elle confiait penser souvent au « départ tragique de notre sœur Joyce (Echaquan) ». Le 28 mai, alors que l’enquête publique de la coroner achevait dans ce dossier, une autre nouvelle tombe comme un couperet : les restes de 215 enfants autochtones disparus ont été retrouvés à l’ancien pensionnat de Kamloops, en Colombie-Britannique.

Le pays est bouleversé, en particulier les peuples autochtones qui vivent avec les cicatrices de cette période génocidaire. Sur son fil Twitter, Michèle Audette « donne de l’ #amour aux 215 petits êtres lumières, (et) souhaite #justice, #vérité pour toutes les familles des Premiers peuples ».

De ces jours, l’ancienne commissaire à l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées (ENFFADA) est conseillère principale en matière de réconciliation et d’éducation autochtone à l’Université Laval.

Alors que nombreux représentant.e.s autochtones demandent des gestes – et non seulement des belles paroles – à la suite de la découverte horrifique en Colombie-Britannique, et que le premier ministre Trudeau promet d’en faire plus pour les survivants des pensionnats autochtones, nous vous partageons une conversation avec Michèle Audette sur une des initiatives phares du gouvernement fédéral pour consacrer les droits des peuples autochtones au Canada : le projet de Loi c-15.

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Déposé à la Chambre des communes en décembre dernier, le projet de Loi concernant la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones « prévoit l’obligation pour le gouvernement du Canada de prendre les mesures nécessaires pour veiller à ce que les lois fédérales soient compatibles avec la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones et d’élaborer et de mettre en œuvre un plan d’action visant à atteindre les objectifs de la Déclaration ». Ce plan d’action devra être déployé d’ici 3 ans.

Malgré la mort au feuilleton d’un projet de loi semblable en 2019, Michèle Audette conserve un certain optimisme. L’adoption de la nouvelle mouture du projet de loi représente pour l’ex-candidate étoile du Parti libéral aux élections de 2015 un outil supplémentaire à la disposition des premiers peuples afin de faire rayonner leurs droits.

Pour Michèle Audette, c’est l’esprit de l’outil onusien et sa force morale qui ont le pouvoir d’envoyer un message percutant.

Pour Michèle Audette, c’est l’esprit de l’outil onusien et sa force morale qui ont le pouvoir d’envoyer un message percutant : « Pour le mouvement social, le mouvement politique. […] Quand ça devient dans le droit canadien […] ou dans la culture de comment on fait les choses, ça devient une chose importante pour nous ». Selon elle, toute la pertinence du texte réside dans son potentiel d’amener les institutions, les entreprises et les sociétés d’État à se conformer et honorer les principes issus de la Déclaration. Ainsi, le plan d’action apportera une nouvelle pierre à l’édifice visant à protéger les droits des autochtones, comme le droit à l’autodétermination, le droit au territoire ou le droit à la culture. 

Les contours à définir

Toutefois, pour elle, il est impératif que les peuples autochtones soient au cœur de l’élaboration du plan d’action. C’est selon elle ce qui a fait le succès de l’ENFFADA : « Si vous faites un parallèle avec un bel exemple de co-construction et un travail d’implication des personnes les plus concernées, dans ce cas-ci c’était les familles, on voit un progrès important », affirme-t-elle, faisant référence au déroulement de l’enquête nationale qui a permis aux membres des familles et aux survivantes de partager leur propre vérité. Le projet de loi actuel n’assure aucunement une coopération étroite dans la rédaction du plan d’action, ce qui inquiète Michèle Audette.

Le réel défi restera cependant l’application de C-15. Elle est d’ailleurs bien placée pour saisir toute la difficulté de donner vie aux recommandations et stratégies proposées : mis à part le Yukon, aucune autre province ni territoire n’a encore adopté de plan clair en réponse aux recommandations de l’ENFFADA. Lorsqu’elle discute avec des membres des Premières Nations, certain.es ne se font guère d’attentes quant aux retombées réelles de C-15, ce que Mme Audette comprend. « Il y a une dynamique complexe et difficile, mais ça ne veut pas dire que ce n’est pas faisable ». Pour certains leaders des Premières Nations, la législation proposée manque carrément de « mordant ». Loin d’arborer des lunettes roses, Michèle Audette comprend les inquiétudes de ses pairs : « Est-ce que la loi va changer tout? Pour une femme qui vit de la violence ou de l’extrême pauvreté, dans le quotidien, non. Mais ses enfants et petits-enfants ne sauront pas que c’est à cause de ça, mais ils vont ressentir des changements plus tard. C’est là que la pédagogie est importante ».

Par pédagogie, Mme Audette entend une façon de mieux transmettre l’information juridique et les droits qui découleront de ce projet de loi aux Premières Nations, ainsi qu’aux entreprises qui seront possiblement touchées par les obligations du plan d’action, afin d’en favoriser une application efficace. 

Michèle Audette admet que pour un impact significatif, il faut que les provinces et territoires acceptent d’intégrer les principes de la DNUDPA au sein de leur appareil législatif. C-15 n’a aucun poids sur les politiques provinciales et territoriales. À l’heure actuelle, seule la Colombie-Britannique a intégré les principes de la DNUDPA au niveau provincial en fin d’année 2019, au même moment où l’Alberta, la Saskatchewan, le Manitoba, l’Ontario, le Québec et le Nouveau-Brunswick ont signalé préférer un délai supplémentaire avant la mise en œuvre du projet de loi C-15. Pour Michèle Audette, une interrogation subsiste : « Comment on fait pour que les provinces et territoires soient aussi parties prenantes là-dedans, au même titre que les Nations qui se retrouvent dans ces divisions? ».

Tournée vers l’avenir

En soi, ce projet de loi représente un pas de plus en vue d’une meilleure relation entre les peuples autochtones et la Couronne. Pour des changements à long terme, Michèle Audette précise que d’autres pans de la société doivent cheminer en parallèle, comme l’éducation, les médias, la culture ou la politique.

De plus, les peuples autochtones doivent être davantage outillés, d’une part afin de mieux comprendre la DNUDPA et le projet de loi, mais aussi afin d’en faciliter l’usage dans le but de faire valoir leurs droits. Pour se faire, il en revient au gouvernement fédéral de soutenir la capacité organisationnelle, humaine et économique des premiers peuples pour établir des bases qui sont véritablement équitables et égales, selon l’ex-commissaire. Est-ce qu’Ottawa est prêt à s’engager dans cette direction? Michèle Audette en doute. C’est d’un retour sur le progrès réalisé que cette dernière puise sa résilience. Selon elle, désormais, « la champlure fermée dur pendant 10 ans coule à flots ». C’est d’ailleurs l’essence du message de l’ex-commissaire en ce qui a trait à C-15 : « l’adopter, c’est une chose, l’honorer, c’en est une autre ». 

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