Les camions commenceront à rouler sur le pont Gordie Howe entre Windsor et Détroit en 2025 – point culminant de 20 ans d’efforts.
Un pont reliant Vancouver à sa rive-nord est nommé en l’honneur des 23 travailleurs qui ont perdu la vie lors de sa construction.
La construction du nouveau pont Champlain s’est plutôt bien passée – facture de 4,25 milliards de dollars.
Le pont de Québec requiert toujours des travaux de peinture – sans parler du troisième lien.
Une de mes histoires préférées est celle du pont Golden Gate à San Francisco : lorsqu’on parvient enfin à le peinturer d’un bout à l’autre, il est temps de recommencer le travail là où on a commencé. C’est le cas de le dire : ça n’en finit jamais!
Des ponts, c’est onéreux, et ça ne se bâtit pas du jour au lendemain.
Loin de moi l’intention de vous décourager en partageant ces anecdotes. Au contraire.
Lorsqu’on m’a confié le mandat de lancer la publication française d’Open Canada, l’idée de construire des ponts m’est tout de suite venue.
Ayant passé ma vie en entier avec un pied de chaque côté de la rivière des Outaouais, on n’avait pas besoin de m’expliquer à quel point les Québécois et le reste du pays vivaient dans des bulles médiatiques évoluant à peu près comme deux voisins d’appartements qui ne se sont jamais rencontrés. L’un connaît les bruits de l’autre sans jamais les comprendre. Seules les minorités linguistiques ont l’habitude de passer à travers les murs, comme des fantômes. D’ailleurs, elles passent souvent inaperçues.
C’était donc un beau, mais un immense défi d’essayer de bâtir des ponts entre nos nations fondatrices pour stimuler une conversation où chacun a sa place sur le rôle de notre pays dans le monde, surtout avec les ressources limitées d’un organisme à but non lucratif.
Je suis fier de notre travail.
À son apogée, le volet français d’Open Canada recensait plus du tiers du lectorat canadien de la publication en entier.
Nous nous sommes aventurés sur cinq continents et avons abordé des questions d’économie, d’aide au développement, de conflits armés, de défis de société tout en jetant la lumière sur la vie des gens affectés.
C’est surtout grâce à des collaborations de qualité de la part de journalistes, d’experts et de praticiens qui auraient tous pu convoiter un chèque plus généreux ailleurs.
Ils croient à notre projet et je leur en suis reconnaissant.
C’est aussi à cause de la contribution infatigable d’une équipe de bénévoles qui consacrent leurs soirées et leurs fins de semaine à publier des articles et en faire la promotion. Franchement, c’est beau à voir.
Si je vous écris sur cette note, vous l’avez deviné : c’est parce que mon mandat à la barre du volet français d’Open Canada arrive à terme.
Open Canada continuera de publier en français autant que possible cet été, et compte reprendre de plus belle en automne.
J’ai bien hâte de voir les prochaines étapes car les ponts entre nos communautés linguistiques, eux non plus, ne se bâtissent pas du jour au lendemain. Leur construction et leur entretien demandent un investissement sérieux de temps et de ressources. Comme dans le cas du Golden Gate, le travail ne finit jamais. Mais ça en vaut la peine.
Peut-être réussirait-on à s’entendre mieux si on se parlait plus souvent.
Le pont Gordie Howe est censé épargner 800 000 heures aux camionneurs chaque année. Les ponts qu’Open Canada tente toujours de bâtir devraient permettre aux Canadiens et Canadiennes – peu importe s’ils parlent français ou anglais – de prendre part à une conversation fondamentale sur la place du Canada dans le monde, à un moment où cet échiquier est ébranlé. De la guerre des Boers à celle en Irak, en passant par la crise de la conscription de 1917, le plébiscite de 1942 sur le même enjeu, et le débat sur le libre-échange des années 80s, les questions de politique étrangère ont souvent déchiré le pays sur des lignes linguistiques. Peut-être réussirait-on à s’entendre mieux si on se parlait plus souvent.
Il faudra longtemps pour évaluer l’impact géopolitique de la pandémie. Mais déjà, on observe un repli des états amorcé avant-même la propagation de la COVID-19. Je ne suis pas de ceux qui pensent qu’on devrait retourner à nos positions antérieures en matière de relations internationales, mais je ne suis pas non plus de ceux qui pensent que la solution consiste simplement à élever des remparts pour se mettre à l’abris des dangers du monde. Nous devons tenir compte des leçons de la pandémie, ainsi que des autres événements perturbateurs des dernières années – effondrement des institutions financières, crises des réfugiés, montée du nationalisme de droite, menaces cybernétiques, agressivité de la Russie et de la Chine, échecs au Moyen-Orient parmi tant d’autres – pour mettre à jour notre vision de la politique étrangère du pays.
Le Canada n’est pas seul dans le monde. En fait, il est à son plus fort lorsqu’il tisse des alliances. Toutefois, il ne peut ultimement compter que sur lui-même. Il est d’autant plus important que tous les Canadiens et Canadiennes participent comme ils et elles le peuvent à façonner le rôle du Canada dans le monde et à défendre ses intérêts.
Voilà la mission du Conseil international du Canada et d’Open Canada.
Je vous remercie d’avoir passé les derniers mois avec nous à discuter de démocratie, d’injustices, de menaces et d’opportunités au-delà des océans qui nous entourent. J’espère que vous poursuivrez la conversation avec Open Canada.
Je lâche la barre, mais je n’ai aucune intention de quitter le navire. En l’absence d’un pont, on prend le traversier.
À la prochaine fois,
Jean-Luc