Comment la diplomatie numérique audacieuse du Canada fait des vagues dans le Moyen-Orient

Du lancement de débats sur les droits LGBT au développement de nouveaux réseaux d’influence, la technologie soutient la diplomatie traditionnelle, selon l’ancien Ambassadeur du Canada en Tunisie.

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18 May, 2016
Courtesy of the Embassy of Canada in Tunisia

An English version of this article is available here.

Il est minuit passé, un vendredi soir à Tunis. L’Ambassadeur du Canada et son équipe de médias sociaux sont rivés à leurs tablettes et suivent l’activité sur Facebook.   L’homosexualité est un crime en Tunisie et à travers la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord: l’Ambassade vient de lancer une série de publications controversées sur Facebook, appelant à la décriminalisation de l’homosexualité en Tunisie.  

La campagne audacieuse de diplomatie numérique a marqué, en 2015, la Journée internationale contre l’homophobie et la transphobie (IDAHO), célébrée annuellement autour du monde le 17 mai. La décision d’arborer le drapeau arc-en-ciel à l’Ambassade est significative, le Canada étant ainsi le premier pays à afficher le drapeau LGBT dans l’une de ses ambassade dans le monde arabe. Cela a servi d’ancrage pour une campagne canadienne de sensibilisation sur les médias sociaux.

Avant de lancer la campagne qui comprenait aussi une rencontre avec des militants de la société civile, l’équipe de l’Ambassade du Canada à Tunis a bien réfléchi et soupesé les différents risques: diplomatiques, réputationnels et liés à la sécurité. Il y avait certaines hésitations, même à l’interne. Ce qui était sûr c’est que cette initiative allait générer des centaines de commentaires sur les pages Facebook français/anglais de l’Ambassade, par ailleurs très populaires. C’était là l’objectif même: lancer le débat. Et c’est ce qui s’est produit. Le Canada s’est fait dire par certains abonnés de plier de bagage, en emportant avec lui ses valeurs occidentales, alors que d’autres ont publiquement ou en privé remercié le Canada d’avoir soulevé cet enjeu et porté l’attention sur la lutte quotidienne de la communauté LGBT. 

Ce qui était inattendu, c’est que les commentaires — bien que polarisés — étaient pour la plupart positifs et que les conversations se sont modérées toutes seules. Ce qui a été encore plus surprenant c’est que plus de 1 000 personnes, en apposant leur “j’aime” sur les postes, ont pris position publiquement et au sein de leurs propres réseaux sociaux (famille, amis et collègues) contre la violence, la discrimination et la répression des communautés LGBT en Tunisie. Le Canada a atteint son objectif de provoquer une véritable discussion autour de l’homosexualité. 

Canada in Tunisia
Courtesy of the Embassy of Canada in Tunisia

Dans le cadre d’une autre campagne de diplomatie numérique en 2015, le Canada a cherché à exprimer sa solidarité avec la jeunesse tunisienne malmenée. Afin de lui donner une voix pour projeter ses rêves d’une nouvelle Tunisie post-dictature, l’Ambassade a offert son mur de façade — 75 mètres carrés d’espace prisé, un énorme canvas blanc pur — à six jeunes artistes-graffeurs, des deux sexes, afin qu’ils s’expriment sous l’oeil incrédule de la police diplomatique tunisienne, plutôt habituée à pourchasser qu’à protéger ces artistes de la rue. 

Cette approche novatrice et audacieuse à la diplomatie a été instantanément amplifiée sur les média sociaux et rapidement couverte par les nouvelles nationales du soir, dans les média traditionnels et sur la toile. Cette fresque de l’art de la rue a agrémenté l’accueil des visiteurs de l’ambassade et des passants pendant 3 mois, servant aussi de sujet de conversation avec les interlocuteurs de l’Ambassade, y compris de nombreux ministres tunisiens. La jeunesse tunisienne a été entendue, tout comme le message de solidarité du Canada et son soutien à la liberté d’expression. 

La diplomatie numérique nécessite, pour être efficace, de la créativité. Son succès viral sur la toile sera quasi-assuré si cela sort de l’ordinaire. Le défi consiste parfois a y insérer un peu de ce côté anguleux que les diplomates sont formés à atténuer plutôt qu’à cultiver. Un exemple devenu classique est ce tweet de la Mission du Canada à l’OTAN en 2014 alors que l’invasion russe en Ukraine bat son plein, présentant à l’aide d’une carte ce qui est — et plus important encore, ce qui n’est pas — territoire russe. L’efficacité de cette initiative dépasse les effets combinés de nombreux outils traditionnels de diplomatie internationale. 

“Le Canada est avide d’engagement avec ceux qui s’intéressent au Canada de par le monde, dont plusieurs n’auraient pas le réflexe de cogner aux portes des ambassades canadiennes.”

La diplomatie numérique à l’aide de média sociaux constitue probablement la forme de diplomatie directe la plus évidente. Cela offre aux ambassades canadiennes à travers le monde un accès instantané à de larges segments de la population des pays hôtes. Cela peut être mis à profit pour aborder des conversations difficiles ou embêtantes avec des larges et nouveaux auditoires. 

Dans le cadre de la ‘semaine des droits de la personne’ organisée par le Canada, les média sociaux ont permis une portée sans précédent à une vidéo financée par le Canada, illustrant par le biais d’une bande animée, les types de violence sexuelle couvertes sous la Convention pour l’élimination de la discrimination contre les femmes. Cette vidéo a été visionnée plus de 100 000 fois. Paradoxalement, l’équipe de l’Ambassade s’est réjouie du fait que de nombreux commentaires, parmi les centaines générés, étaient critiques ou carrément hostiles. Cela a démontré que le message du Canada avait un impact et atteignait ceux qui étaient précisément visés par la campagne de sensibilisation.

Les média sociaux constituent un puissant outil de diplomatie pour le Canada, avec plus de 500 canaux à travers le monde, engageant les internautes dans plus de 20 langues, avec un actif cumulé de plus de quatre millions d’abonnés. Mais ce n’est pas qu’une question de visibilité, de “j’aime” ou d’abonnés. C’est aussi question de générer des conversations en ligne et en personne. 

Les média sociaux ont joué un rôle capital dans la Révolution du Jasmin en Tunisie en 2011, révolution qui a lancé le Printemps arabe à travers la région. Cet environnement numérique en pleine effervescence a permis à l’Ambassade du Canada en Tunisie d’expérimenter et d’innover avec la diplomatie numérique. Cela explique aussi pourquoi deux ans à peine après avoir lancé sa page Facebook, les pages français/anglais combinées cumulent plus de 140 000 abonnés. Cela représente environ 1,5 pourcent de la population du pays hôte qui est atteinte, quotidiennement, avec du contenu mettant de l’avant le Canada et célébrant les nombreuses facettes de la riche relation bilatérale. 

Mais la diplomatie numérique du Canada, c’est aussi plus que les campagnes de sensibilisation audacieuses. Cela sert de nombreux objectifs en plus de la visibilité et la sensibilisation. La diplomatie numérique sert à mobiliser les diasporas en soutien de l’agenda international du Canada, à travers le monde. Elle sert à promouvoir le Canada comme destination pour l’éducation, à mettre en lumière les succès et le savoir-faire canadiens, et à souligner le leadership du Canada sur la scène internationale. Cela sert au branding du Canada, fait penser au Canada comme partenaire ou comme destination, favorise les échanges commerciaux et sert à renforcer les liens personne-à-personne. Cela sous-tend les nombreux programmes des ambassades, y compris le commerce, le développement et la diplomatie. Les média sociaux rendent aussi les ambassades du Canada plus accessibles en mettant un visage humain sur une fonction diplomatique traditionnellement discrète, voir secrète.

Le Canada est avide d’engagement avec les Canadiens et avec ceux qui s’intéressent au Canada de par le monde, dont plusieurs n’auraient pas le réflexe de cogner aux portes des ambassades canadiennes, si ce n’était du ton invitant et inclusif de la diplomatie numérique du Canada.

Tunisia power lunch
The power lunch: Sébastien Beaulieu, centre, with embassy staff, Marie-Thérèse Helal and Thomas Cassart. Courtesy of the Embassy of Canada in Tunisia.

Quant à ce côté human de la diplomatie, la publication la plus efficace pour positionner le Canada comme ami de la Tunisie n’est pas liée à un événement diplomatique, mais plutôt à ce que l’Ambassadeur et son équipe ont fait immédiatement après une rencontre avec le Premier ministre tunisie et avant de rentrer au bureau: un “power lunch” consistant d’un sandwich frit au thon et un jus d’orange fraîchement pressé dans une échoppe du souk du centre-ville. Cela a flatté l’honneur national que de voir des diplomates, en toute simplicité, apprécier et faire la promotion de la cuisine locale. Les média sociaux et traditionnels se sont rapidement emparés de ce fait divers. L’une des retombées immédiates de cette initiative a été une invitation par un influent directeur de cabinet à un autre déjeuner traditionnel sur le pouce, cette fois un sandwich oeuf, pomme de terre, tomate, tout aussi délicieux que le premier. L’accès, gagne-pain des diplomates, est parfois développé de façon inusitée. 

L’expérience confirme que les activités en ligne des ambassades canadiennes servent souvent à établir de nouveaux réseaux, cruciaux pour une diplomatie porteuse et efficace. En tant que tels, les centaines de canaux de média sociaux du Canada sont autant d’événements de réseautage mondiaux, en direct et continus 24/7, auxquels les invités arrivent en grand nombre mais dont ils ne partent que rarement. 

L’intégration croissante des média sociaux dans la diplomatie traditionnelle est au coeur de la mobilisation de certains atouts du Canada, dont sa diversité et ses diasporas. Ces dernières sont avides de contribuer au tissage d’un large éventail de liens économiques, sociaux, éducatifs et scientifiques entre leur pays d’origine et le pays qu’ils, leur parents ou leurs grands-parents ont adopté en tant que nouveaux arrivants au Canada. 

Le plus récent ajout à l’arsenal digital du Canada est le canal dédié à la Syrie (@CanadaSyrie) qui sert à mettre de l’avant la réponse du Canada et des canadiens à la crise en Syrie. Les canadiens se reconnaîtront notamment dans le “projet national” qui les a mobilisé en vue de l’accueil de plus de 25 000 réfugiés dans les communautés à travers le Canada. 

 Il s’agit là de quelques exemples du leadership du Canada sur le front numérique, avec bien d’autres initiatives à venir.

Sébastien Beaulieu est Directeur exécutif, Relations avec le Moyen-Orient à Affaires mondiales Canada. Il a été Ambassadeur du Canada en Tunisie de 2012-15. Il a récemment été nommé Professeur associé au Gustavson School of Business de l’Université de Victoria. 

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