Charité Bien Ordonnée
Gabriel C. Goyette sur le secteur extractif comme illustration de la nouvelle politique d’aide de facto du Canada.
Le gouvernement Harper aura marqué l’histoire récente de la coopération canadienne par des changements à la fois nombreux et profonds dans les pratiques, dans la configuration institutionnelle et les instruments de fourniture de cette aide, et ce, tant au niveau public, particulièrement avec la fusion de l’Agence canadienne de coopération internationale et du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, que privé, avec les transformations significatives qu’a connu le milieu des ONG dans les dernières années, pensons à la croissance de la place des organisations religieuses, voire prosélytiques, et l’augmentation relative de la place occupée par les ONG provenant de l’Ouest du pays (Audet 2013).
Pourtant, ses transformations n’ont jamais fait l’objet d’une systématisation dans une politique de coopération explicite, pas plus d’ailleurs que la politique étrangère canadienne. En fait, hormis deux livres blancs sur l’Arctique en 2009 et 2010, seule la stratégie de défense du Canada a fait l’objet d’un livre blanc depuis l’arrivée au pouvoir des Conservateurs avec la publication de Le Canada d’abord en 2009.
[…]
La vision mise de l’avant par le gouvernement Harper d’une politique étrangère intégrée et hiérarchisée se base sur les principes du parti conservateur tels que définis dans les énoncés de politique dès 2004 et étayés dans les versions subséquentes. La politique étrangère est intégrée en ce que ses différents pans, défense, commerce, diplomatie et l’aide répondent tous aux mêmes objectifs, « défendre les intérêts économiques du pays, tout en respectant les droits de la personne et la liberté individuelle » (Parti conservateur 2011). Elle est également hiérarchisée, car, les politiques en matière de commerce et de défense nationale sont mises au premier rang, la politique étrangère est définie par ces politiques sectorielles et doit donc contribuer à la réalisation des objectifs de celles-ci. L’aide est quant à elle un instrument de la politique étrangère plutôt qu’un secteur autonome ayant ses propres finalités. D’ailleurs, les premiers mots de l’énoncé spécifique sur l’aide étrangère du parti de M. Harper sont : « Le Parti conservateur croit aux avantages inhérents de l’aide au développement pour les Canadiens et le reste du monde » (Parti conservateur 2011).
La version adoptée en 2011, et très légèrement modifiée en 2013 pour faire mention de la démocratie, est donc limpide quant aux premiers bénéficiaires de l’aide canadienne : ce sont les Canadiens, et les entreprises canadiennes, plutôt que « les pauvres » comme pourrait le laisser croire l’article 4 de la Loi sur la responsabilité en matière d’aide au développement officielle sanctionnée en 2008 :
L’aide au développement officielle ne peut être fournie que si le ministre compétent est d’avis qu’elle : a) contribue à la réduction de la pauvreté; b) tient compte des points de vue des pauvres; c) est compatible avec les normes internationales en matière de droits de la personne. (Parlement du Canada 2008)
À ce titre, il n’est donc pas anodin de voir émerger une emphase sur le secteur extractif, un secteur clef pour l’économie canadienne, elle-même la priorité des Conservateurs comme ils le rappellent fréquemment. L’ouverture de négociations pour des accords de libre-échange en 2007 avec deux joueurs continentaux clefs dans le secteur extractif, le Pérou et la Colombie, s’inscrivent notamment dans cette stratégie tout comme la réponse qu’a donné le gouvernement au rapport des Tables rondes nationales sur l’activité du secteur extractif canadien et la responsabilité sociale des entreprises paru en 2007 qui plutôt qu’une contrainte pour l’industrie comme l’aurait été l’adoption du projet de loi C-300 (Loi sur la responsabilisation des sociétés à l’égard de leurs activités minières, pétrolières ou gazières dans les pays en développement) s’avère plutôt être une série d’opportunités pour l’industrie : opportunités de financement de leurs stratégies de RSE et d’amélioration de leurs environnements d’affaires par l’ACDI, opportunités d’amélioration de leur image grâce à un centre d’excellence dont le « focus of the Centre is to help Canadian companies doing business around the world » (Center for Excellence in CSR 2010).
This is an excerpt from a paper to be presented at the symposium “Rethinking Canadian Aid: Foundations, Contradictions and Possibilities”.
Bibliographie
Audet, François. (2013). Religious nongovernmental organisations and Canadian international aid, 2001–2010: a preliminary study. Canadian Journal of Development Studies, 34(2), 291-320.
Center for Excellence in CSR. (2010). Welcome to the Centre for Excellence in CSR. [En ligne] ˂ http://web.cim.org/csr/ ˃ (juillet 2013)
Parlement du Canada. (2008). Loi sur la responsabilité en matière d’aide au développement officielle. L.C. 2008, ch. 17. [En ligne] ˂ http://laws-lois.justice.gc.ca/PDF/O-2.8.pdf ˃ (26 juin 2013).
Parti conservateur du Canada. (2011). Énoncé de politique. Tel que modifié par les délégués au Congrès national le 11 juin 2011. [En ligne] ˂ http://www.conservative.ca/media/2012/07/ 20120705-CPC-PolicyDec-F.pdf ˃ (juillet 2012)